Jean Echenoz : Papier à musique
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Jean Echenoz : Papier à musique

Dans son roman Ravel, Jean Echenoz échappe à la tentation biographique et se renouvelle tout en gardant le meilleur de lui-même. Une autre approche du roman réel.

Echenoz

a remporté le Goncourt avec Je m’en vais en 1999. Il a publié une douzaine de livres aux Éditions de Minuit, là où s’est définie l’école du nouveau roman dans les années 60 et 70 avec les Robbe-Grillet, Beckett et Claude Simon. Il y a incarné mieux que tout autre, au cours du dernier quart de siècle, la nouvelle génération de romanciers audacieux, empruntant aux expériences formelles de ses prédécesseurs tout en intégrant certaines facettes du roman d’aventures ou du polar.

En choisissant de raconter dans sa plus récente publication les dix dernières années de la vie du compositeur français Maurice Ravel, Jean Echenoz s’aventure dans une nouvelle avenue d’écriture: le roman centré sur un héros non fictif. On est quand même loin de la biographie autorisée, bien qu’on en apprenne beaucoup sur le père du Boléro.

La première moitié du récit ne recouvre qu’une courte période de la décennie "étudiée": la traversée sur le paquebot France suivie d’une grande tournée triomphale en Amérique. Mais ce voyage nous permet de faire connaissance avec l’extravagance et le fétichisme de cette célébrité musicale de l’entre-deux-guerres. Depuis la mort de Debussy, le petit (de taille) Maurice Ravel est le plus grand dans le monde de la musique. Pourtant!

"Qu’il gouverne avec tant de maladresse un piano s’explique aussi par la paresse dont il ne s’est jamais défait depuis l’enfance: lui si léger n’a pas envie de se fatiguer sur un instrument tellement lourd. Il sait bien que l’exécution d’un morceau, surtout lent, requiert une dépense de force physique dont il aime mieux se dispenser. Mieux vaut donc la désinvolture – qu’il a récemment poussée au point de composer l’accompagnement de Ronsard à son âme pour la seule main gauche, lui-même ayant prévu de fumer avec la droite. Bref il joue mal mais enfin bon, il joue. Il est, il sait qu’il est le contraire d’un virtuose mais, comme personne n’y entend rien, il s’en sort tout à fait bien." Voilà le ton de ce roman précis et presque précieux dans sa multitude de détails descriptifs.

En deuxième partie, la création du Boléro, l’oeuvre par laquelle la postérité sera assurée, est traitée avec un regard à tout le moins critique. "Il sait très bien ce qu’il fait, il n’y a pas de forme à proprement parler, pas de développement ni de modulation, juste du rythme et de l’arrangement. Bref c’est une chose qui s’autodétruit, une partition sans musique, une fabrique orchestrale sans objet, un suicide dont l’arme est le seul élargissement du son."

Même s’il semble changer de registre, Echenoz ne se débarrasse pas de toutes ses bonnes habitudes. Il évite donc le ton mélodramatique du récit d’un destin tragique à sa façon pour conserver cette minutie d’horloger si propre à son écriture. Une écriture, on la qualifierait volontiers de jazzy, qui épouse cette fois davantage les formes plus classiques de la musique de Ravel. Envoûtante comme le Boléro

Ravel
de Jean Echenoz
Éd. de Minuit
2006, 124 p.