Bianca Zagolin : Les fous du village
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Bianca Zagolin : Les fous du village

Bianca Zagolin dépeint cinq personnages à la croisée des chemins, dont les épreuves révéleront les faiblesses, mais aussi la grandeur et la grâce.

Il y a des saisons où tout chavire. Où ce qui était certitude se mue en inconnu; où ce qui semblait secondaire devient priorité. Dans ses deux premiers romans, Une femme à la fenêtre (Robert Laffont, 1988) et Les Nomades (l’Hexagone, 2001), Bianca Zagolin s’était inspirée de son expérience d’immigrante pour explorer le thème de l’exil. Cette fois, l’auteure québécoise née en Italie passe à un registre plus intimiste et situe l’histoire dans un village des Cantons de l’Est, dont le ciel est déchiré par l’une de ces périodes de bouleversement, une "année sauvage".

Le lecteur est d’abord pris par la main par une narratrice qui introduit, puis refermera l’histoire en fin de roman, devenant dans l’intervalle l’un de ses principaux personnages, l’un de ces cinq êtres – trois femmes et deux hommes – dont les vies vont se heurter en un même point de l’espace et du temps. Deux éléments déclencheurs vont tout précipiter. La disparition de Catherine, fille de Josette, qui un soir ne rentre pas de l’école et dont on semble avoir perdu la trace à tout jamais, puis le malheur de Sophie, la plus belle femme du village, qui apprend à 46 ans qu’elle est atteinte d’un cancer. Deux départs. L’un annoncé, l’autre soudain; l’un apprivoisé, l’autre subi dans toute son horreur et son injustice. Autour, Charles, le mari de Sophie, Cécile, dont Sophie a dirigé le mémoire sur les Abénaquis de la région et qui est devenue son amie, puis Thomas, un jeune homme étrange, retiré, mais qui saura faire battre le coeur de Josette et surtout de Cécile.

Autant la trame peut rappeler de nombreux autres livres où la maladie ou la brisure amoureuse vont agir comme catalyseur du renouveau; autant la lutte de Sophie contre le cancer, qui va lentement la faire sortir de sa réserve naturelle et l’ouvrir à la sensualité, peut faire penser par exemple à celle du personnage central de Wit, la pièce de Margaret Edson qui vient de faire un tabac sur les planches du Quat’Sous, autant Bianca Zagolin a eu le tact d’éviter le prévisible, de constamment faire de sa trame autre chose que ce que le lecteur entrevoit. Si elle ne résiste pas toujours à la tentation de la jolie phrase un peu creuse, si on assiste quelquefois à des "depuis l’enlèvement, seul le sommeil peut assourdir en elle la conscience de l’envers des choses", elle fait preuve d’une indéniable maîtrise de l’art romanesque, particulièrement sur les plans de la structure et de la psychologie des personnages, qu’elle parvient à dessiner complètement sans jamais appuyer les traits.

L’Année sauvage n’est certes pas un livre jojo, mais la romancière entretient sans cesse un contrepoint au malheur, faisant tinter tout ce que la vie continue à offrir même au coeur des heures sombres, parvenant à faire de ce village un convaincant microcosme du vivant, de ses paradoxes comme de ses enchantements.

L’Année sauvage
de Bianca Zagolin
VLB éditeur, 2006, 200 p.

L'Année sauvage
L’Année sauvage
Bianca Zagolin