Pierre Labrie : Le malaise du code-barres
La Pléiade des nombres épidémiques est née accidentellement, presque par enchantement, dira Pierre Labrie. C’est qu’en bossant sur la suite logique de Voyage dans chacune des cellules, il s’est retrouvé avec une série de textes qu’il n’arrivait pas à insérer. L’idée de produire un tome 1,5 s’est alors installée.
"Ce livre-là, c’est une espèce de pré-virage qui annonce ce qui s’en vient après, déclare d’entrée de jeu le poète de 34 ans. Il marque un virage parce qu’à un moment donné, j’ai eu le grand questionnement: "Est-ce que je suis en train de tourner en rond? Est-ce que je raconte toujours les mêmes affaires?" Pour moi, c’est très, très important qu’il y ait une partie de recherche dans ce que je fais. Un livre, ce n’est pas juste de partir avec une page, une inspiration, et de se rendre à la fin. C’est un gros travail de recherche. Je me mets un projet. Je pars avec un titre. Je construis des sections, puis je construis ça comme une maison." Pour trouver réponse à ses questions, Pierre Labrie a fouillé son passé: "J’ai ressassé tout ce que j’avais fait dans les 10 dernières années. J’ai relu autant ce que je n’avais pas publié que ce que j’avais publié. Pour les trucs non publiés, je me suis demandé pourquoi je n’avais jamais rien fait avec ça, pourquoi c’était resté dans les fonds de tiroirs. […] J’ai regardé tout ça et j’ai vu qu’il y avait un lien logique à travers ces textes-là. Alors je me suis dit: "Pourquoi ne pas essayer de tout réécrire!""
L’exercice n’a pas consisté à changer quelques mots ici et là, mais à travailler la matière dans son entier. L’écrivain s’est inspiré de la thématique qui unissait ses différents papiers, de ce contexte social où l’homme perd de plus en plus son identité pour devenir un numéro. Il a résumé 10 ans d’écriture dans un seul livre. "Il n’est presque rien resté de ce qu’il y avait avant parce que, de toute façon, ce n’était pas des textes qui avaient été écrits pour aller ensemble", soutient-il.
L’oeuvre finale, un manifeste, consiste en quatre longs poèmes, où les espaces pour reprendre son souffle se révèlent quasi inexistants. Labrie parle d’une course contre la montre. "J’ai voulu que ça soit très mathématique. Les chiffres, ce n’était pas juste une thématique. J’ai intégré ça partout dans le travail des textes." Il poursuit: "Ce que j’essaye de dire là-dedans, c’est qu’il y a un malaise. Il y a d’autant plus un malaise du fait qu’au Québec, on n’a jamais réglé notre quête identitaire. Toutes les générations se cherchent. C’est comme si on était incapables de se donner une identité, qu’elle soit sociale ou politique. De devenir des chiffres, quand on n’a jamais été des lettres avant, c’est un peu paniquant. Donc, le livre, c’est un peu un cri du coeur et un cri de la mémoire."
Les pages de La Pléiade des nombres épidémiques sont ponctuées d’images de la photographe Ève-Lyne Thivierge, conjointe de Labrie. "Comme je ne raconte jamais d’histoire dans mes livres, je voulais que les images racontent une histoire", admet l’auteur de Trois-Rivières.
La Pléiade des nombres épidémiques
De Pierre Labrie
Éditions Trois-Pistoles
2005, 80 p.