Badal : La guerre des clans
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Badal : La guerre des clans

Le Badal, dans le code d’honneur pachtoune, c’est la vengeance entre tribus. Badal, c’est aussi le titre du roman de Jacques Bissonnette, qui nous entraîne dans une tempête du désert tout en gardant un pied-à-terre à Montréal. C’est là que nous l’avons rencontré, à l’ombre des tours du… Complexe Desjardins.

THRILLER GÉOPOLITIQUE

Au lendemain du 11 septembre 2001, Bissonnette est incapable d’écrire, physiquement s’entend, à cause d’une hernie discale. Il plonge alors dans les journaux où Ben Laden, les islamistes, l’Afghanistan et le Pakistan occupent tout l’espace. Il ne tardera pas à monter un dossier sur le sujet en vue d’un prochain roman. "Et cette recherche m’a rappelé un voyage de trois mois en Mauritanie, fait en début de vingtaine, où j’étais parti en excursion dans le désert avec des musulmans. Je me suis revu dans la boîte d’un pick-up avec les Bédouins. Je me suis souvenu du respect des gens, de leur empathie. J’ai eu envie de remettre dans un livre ce que j’avais reçu de ces gens. Et ça m’a permis d’entrer dans la peau de Nabil."

Nabil, un des héros de Badal, est un jeune Pachtoune originaire de la province autonome du Waziristân Sud, au Pakistan. Il a grandi avec sa mère à Montréal, dans le quartier NDG, avant de sombrer dans la drogue. Pour sauver son âme, il retournera sur sa terre natale où il deviendra un moudjahid, un soldat du jihad, la guerre sainte. Et puisqu’il est détenteur d’un passeport canadien, on voudra bien qu’il vienne accomplir sa mission contre les infidèles ici même.

Par ailleurs, le policier fétiche de Bissonnette, Julien Stifer, enquête sur l’assassinat d’un Algérien, réfugié politique au Canada, Ismaël Gunaratna. Dans le climat de paranoïa qui règne au sein des services secrets américains et canadiens, le meurtre sera vite associé au terrorisme, plus particulièrement à la mystérieuse opération Moïse.

Entre ces deux tableaux, dans le port de Montréal, le syndicat des débardeurs a été noyauté par une bande de motards, les Bloody Birds. Le responsable syndical, Gus Giggs, fait des affaires, entre autres, avec un importateur d’héroïne pakistanais à la barbe rousse qui est fasciné par les faucons, gerfauts et autres oiseaux de proie. On s’imagine bien que toutes ces histoires vont s’entremêler…

À LA BONNE PLACE, AU BON MOMENT

La sortie de Badal a été repoussée pour toutes sortes de raisons. Mais personne n’aurait pu prévoir qu’il atterrirait en librairie en même temps que Stephen Harper à Kandahar. Car le livre est doublement d’actualité lorsqu’on observe le renforcement de la présence militaire canadienne en Afghanistan. On parle de plus en plus ouvertement du Canada comme une cible potentielle des terroristes. Personne ne pouvait non plus anticiper l’affaire des caricatures du prophète Mahomet.

Si l’écrivain de romans noirs est à l’affût des parfums nauséabonds de l’air du temps – comme Bissonnette qui a traité des jeunes de la rue dans Gueule d’ange en 1998 -, il ne fallait pas un flair de fin limier pour sentir l’acuité de la piste du terrorisme. Tout est donc question de traitement, de sensibilité. "J’habite dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. Je suis entouré de familles de religion musulmane. La détresse du jeune Nabil, c’est celle de tous les adolescents à la recherche d’un clan. Après s’être perdu dans un gang de rue à Montréal, il trouvera un sens à sa vie en rentrant dans son village, en rencontrant l’Élu de la montagne, le mythe du Saint Homme, et en choisissant de mourir pour son salut, pour gagner son paradis."

Bissonnette met donc en scène le choc des cultures, ce rapport amour/haine qui existe entre le Nord et le Sud. Et, preuve de la grande réussite de ce roman, il nous permet de mieux comprendre le monde. En prenant les grands enjeux internationaux par le biais du simple moudjahid, il ramène cette guerre de religion à hauteur d’homme. "On n’aime pas les terroristes, mais on ne peut pas s’empêcher d’essayer, et parfois de parvenir à les comprendre, quand on voit comment les Occidentaux débarquent avec leurs gros sabots."

SOUS LE SIGNE DU FAUCON

Si l’aigle à tête blanche est l’emblème des États-Unis (et leur arme favorite, l’aigle métallique qui vole dans les cieux!), si le groupe de motards criminalisés se nomme les Bloody Birds, il existe dans la culture pachtoune une véritable dévotion pour les oiseaux de proie qu’on dresse pour la chasse. D’ailleurs, la métaphore animale est omniprésente dans Badal. "En observant le vol alourdi des charognards, Nabil se mit à douter du secret de leur revanche. Une vieille légende pachtoune ne racontait-elle pas que les vautours se confient aux chauves-souris, qui murmurent aux djinns, qui chuchotent aux hommes endormis?"

Chose certaine, ce roman vous tiendra bien éveillés! Parce qu’en s’engageant dans ce récit admirablement bien structuré, on est entraîné dans les coulisses de la mort, du fond d’une grotte afghane jusqu’aux couloirs des mourants en milieu hospitalier montréalais, en passant par des histoires de règlements de comptes entre bandes rivales. Et Jacques Bissonnette nous fait espérer qu’il ne mettra pas cinq autres années avant de nous livrer son prochain roman!

Badal
de Jacques Bissonnette
Éd. Libre Expression, coll. "Polar"
2006, 412 p.