Jean-Louis Trintignant : Mots-de-vie
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Jean-Louis Trintignant : Mots-de-vie

Jean-Louis Trintignant fait le printemps. Pendant que la Cinémathèque québécoise lui consacre une grande rétrospective, l’immense comédien français vient dire des textes d’Apollinaire à la Place des Arts. Avant-propos.

En mai 2000, à l’invitation du Festival international de la littérature, il était venu nous livrer La Valse des adieux, un spectacle autour de l’oeuvre de Louis Aragon. Depuis, on le sait, beaucoup d’eau comme d’encre ont coulé. Voilà que Jean-Louis Trintignant, qui a incarné tellement de personnages inoubliables du cinéma français (Un homme et une femme, Vivement dimanche!, Trois Couleurs: Rouge), remonte sur une scène montréalaise pour porter de sa voix inimitable des textes choisis de Guillaume Apollinaire (1880-1918). Une poésie qu’il fréquente depuis cinquante ans, fasciné par tant de couleurs vives côtoyant tant de gravité. Entretien.

Vous savez sans doute que beaucoup de gens, à Montréal, ont gardé un excellent souvenir de La Valse des adieux. Ça vous fait quoi de repasser par ici?

"Ça me fait grand plaisir, vraiment. Vous savez, ce n’est pas par hasard que je reviens, j’y tenais beaucoup. J’aurais même dû revenir plus tôt, l’an dernier en fait, mais j’ai joué dans une pièce plus longtemps que prévu, puis pour toutes sortes de raisons le voyage a été repoussé… Je garde un souvenir merveilleux du passage de La Valse des adieux chez vous."

Ce nouveau spectacle, vous ne l’avez pas donné depuis un certain temps, je crois…

"La dernière fois, c’était au Festival d’Avignon, l’été dernier. Mais c’est un spectacle qui n’a jamais cessé de m’habiter. Je le préfère à La Valse des adieux d’ailleurs. En fait, pour être honnête, je préfère la poésie d’Apollinaire à celle d’Aragon."

En quoi?

"Aragon est un très grand poète, il y a chez lui des choses très belles, mais il y a quelque chose d’un peu prétentieux, même hautain, alors que chez Apollinaire, il y a une tendresse, une faiblesse je dirais, qui me touche davantage, qui me convient mieux. Malgré un côté très éclatant, sa poésie témoigne de beaucoup de modestie. Il parle des choses simples, il parle des petites gens. D’ailleurs, je dis plusieurs des Poèmes à Lou, mais aussi une partie de Alcools, ce recueil qu’il avait écrit dix ans avant la guerre, et dans lequel on trouve La Chanson du Mal-aimé, entre autres. Puis il y a ce grand poème, au début du recueil, où il parle des rues de Paris, des ouvriers, des sténodactylographes… C’est très touchant."

Ce poème dont vous parlez, Zone, contient aussi des images assez terribles. Par exemple: "Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées / C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir / c’était au déclin de la beauté."

Oui, c’est Apollinaire ça. Cette fragilité combinée à quelque chose de cruel. Dans le même texte, j’aime aussi beaucoup ce passage: "Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent / L’angoisse de l’amour te serre le gosier / Comme si tu ne devais plus jamais être aimé."

Ce spectacle a d’abord été conçu en duo avec votre fille. Ce doit être particulièrement émouvant de le reprendre aujourd’hui, seul…

"Bien sûr, mais je dois dire que le spectacle a beaucoup changé. À l’époque, quand je le donnais avec Marie, nous ne faisions que les Poèmes à Lou. Dans le numéro actuel, je dis vingt-trois textes, et sur ceux-ci, il y en a à peine quatre ou cinq que nous disions dans le spectacle initial. Par ailleurs, la lecture était beaucoup moins musicale; maintenant, la musique joue un rôle de premier plan, avec la présence sur scène de Daniel Mille (accordéon et direction musicale) et Grégoire Korniluk (violoncelle), qui interprètent des musiques de Daniel Mille et Erik Satie. D’ailleurs, nous préservons une part de liberté, d’improvisation. Les musiciens peuvent m’interrompre, par exemple!"

Les noms de Trintignant et d’Apollinaire sur une même affiche, ça ne passe pas inaperçu. Cela permet-il, selon vous, d’ouvrir la poésie à un large public?

"Vous savez, la dernière fois à Paris, pendant 30 représentations c’était bourré, puis l’assistance a baissé rapidement. Le directeur du théâtre me disait d’ailleurs de ne pas m’en étonner, qu’il y avait à Paris environ 15 000 personnes pouvant recevoir ce spectacle, pas tellement plus. Une fois qu’elles sont venues, ces personnes, c’est fini. Autrefois, les gens préféraient le théâtre de boulevard, maintenant c’est la télé. Le grand public, aujourd’hui, va vers les gens qu’ils ont vus à la télé, qui eux sont des vraies vedettes. Beaucoup plus que moi, d’ailleurs. Je le dis sans aucune aigreur, c’est pas grave!"

Difficile d’évaluer le bassin de ceux qui, chez nous, peuvent "recevoir" une telle prestation, mais gageons que nous serons nombreux à la 5e Salle de la Place des Arts, cette semaine, à ne souhaiter qu’une chose: qu’Alcools nous monte à la tête.

Du 28 mars au 1er avril
À la Cinquième Salle de la Place des Arts
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