Jean-Claude Germain : En veillant sur le Ferron
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Jean-Claude Germain : En veillant sur le Ferron

Cette année encore, Jean-Claude Germain est l’une des figures incontournables de Metropolis bleu. Rencontre politisée avec cette immense mémoire vivante du Québec contemporain.

Intarissable puits de savoir, Jean-Claude Germain peut tout aussi bien vous entretenir indéfiniment du lien entre Louis Riel et les orangistes de l’Ulster, de la médiocrité de Trudeau durant ses années de collège à Brébeuf, de l’atavique ferment de francophobie des Cohen, Richler et Auf der Maur vieillissants que de l’origine biologique d’un poteau de téléphone vermoulu dans Rosemont.

Dès qu’il est question de théâtre, de littérature, d’histoire ou de communication, bref devant ses matières de prédilection, l’énergique sexagénaire a la langue bien pendue, et c’est le moins qu’on puisse dire. Ainsi, metteur en scène et ordonnateur d’un spectacle (lecture et musique) consacré au docteur Jacques Ferron mais aussi conférencier sur Michel Tremblay et chroniqueur passionné des rues de Montréal durant le Festival Metropolis bleu, il commentait vendredi dernier ces participations éparses, à coups d’extraordinaires digressions, durant cinq heures vertigineuses, avant de s’en retourner à reculons vers ses terres, dans le soleil couchant, au volant de son inquiétante minoune bleu poudre garée le long de l’avenue Laurier telle l’épave du Titanic.

"Moi, j’habitais entre Mont-Royal et Marie-Anne… Michel Tremblay était entre Mont-Royal et Gilford. Il était tout près, mais c’était déjà un auuuutre monde!" ronronne Germain, cherchant des points communs à ses trois interventions lors du Festival. "Le Plateau, ça n’existait pas. Montréal était divisé en petites paroisses disparates liées uniquement par le tramway 52, qui permettait de descendre jusqu’à la Main… Ma rue Fabre était le centre de l’univers, comme je le dis parfois. Être montréalais, c’est "suffisant"", ricane-t-il après une avalanche pittoresque de noms de rues et de personnages disparus. "Mais quand on veut voir plus loin, on lit le docteur Ferron qui, lui, représentait le pays rural et bourgeois. C’est le seul écrivain qui m’ait appris quelque chose à propos du Québec."

Germain s’engage à fond dans l’impact identitaire précurseur qu’a eu Ferron l’écrivain: "On ne connaît pas notre propre histoire. On ne nous transmet même pas les informations sur la toponymie qui nous entoure. Le docteur Ferron, lui, nous a fait comprendre que ce pays, des Premières Nations jusqu’à la Révolution tranquille, est parfaitement articulé. Que notre petite histoire est une grande histoire. Et cette histoire, Ferron l’interprétait. Il n’y avait que lui pour expliquer à travers son écriture que le Québec ne s’étendait plus désormais d’un océan à l’autre, mais était bel et bien confiné dans ses frontières. En termes d’identité, ce fut prépondérant pour toute une génération d’écrivains des années 60 et 70, Victor-Lévy Beaulieu en tête."

Impossible de ne pas évoquer la fondation par le bon docteur du Parti Rhinocéros, dont le programme politique délibérément absurde proposait dans les années 60 de raser les Rocheuses canadiennes! "Rétrospectivement, on peut bien trouver ça hilarant, mais on vivait dans un pays irrespirable; la Révolution tranquille s’était essoufflée. Le Rhinocéros, c’était une réponse à la bêtise totale de l’État fédéral, à Trudeau, Marchand, Drapeau, qui proféraient des insanités."

JOUAL FRINGANT

"Actuellement, Ferron vit un certain retour en grâce. Personnellement, je serais satisfait si les écrivains reconnaissaient simplement en lui un carrefour important. En ce qui concerne sa reconnaissance publique, il lui manquera toujours ce même élément qui fait la force de Tremblay: il n’avait pas la langue", poursuit Jean-Claude Germain, glissant lentement son attention sur l’ami pour lequel il a préfacé la première édition des Belles-Soeurs. "Tremblay, lui, ne s’est pas posé de questions. Il a étalé son univers, et cette langue possédait une telle force que ses oeuvres, fondamentalement aussi absurdes que celles d’Ionesco, malgré leur volonté de combattre le réalisme du théâtre québécois des années 60, semblaient naturelles. Le public reconnaît sa propre famille jusque dans l’univers excessif et quasi burlesque d’Albertine et des Belles-Soeurs. Ça prouve qu’au Québec, le surréalisme est populaire. Y’a des vaches sur les toits des maisons!"

"Moi, j’ai fondé trois institutions qui durent et j’en suis très content, poursuit Jean-Claude Germain deux heures plus tard. Le Théâtre d’Aujourd’hui, le Centre d’essai et la section d’écriture de l’École nationale de théâtre. Alors que tout le monde, les élites en tête, nous disait que le théâtre québécois était invivable, que ce serait éphémère, que notre engagement politique et social serait comme un feu sauvage de dix ans, pas plus. Maintenant, lorsque je retourne voir des shows, on joue les mêmes auteurs, et la scène politique est aussi emplie des mêmes personnages 40 ans plus tard. C’est absolument étonnant: la foi, la conviction de notre génération n’a pas changé. Ce n’était pas une crise de jeunesse. Maintenant, qui nous reprochera d’avoir fait le Québec moderne?"

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