Claire Castillon : Nid de guêpes
Claire Castillon, petit ange sombre des lettres françaises, nous lance son Insecte, recueil de nouvelles éclaboussant de vitriol les rapports mère-fille.
D’abord connue à Paris comme la maîtresse du bonze télé Patrick Poivre D’Arvor et animatrice d’En attendant minuit, une émission érotique sur TPS Star, Claire Castillon patauge encore dans la sphère publique, mais ce, comme romancière. Trente ans, minois d’ingénue, cinq romans très médiatisés à son actif, elle récidive cette année avec Insecte, une première somme de nouvelles, dix-neuf au total, lancées comme des fléchettes empoisonnées sur la montgolfière du couple mère-fille. Faisant son miel de ce qui pique sans vergogne, s’essuyant les talons sur le politiquement correct, elle livre une galerie de portraits et d’univers clos qui poussent la cruauté, la férocité et la défaillance intime au-delà du possible.
C’est par J’avais dit une qu’on pénètre dans ce musée des horreurs. À son corps défendant, une femme se plie à la demande de son mari qui désire un enfant. À une seule condition, cependant: que ce soit une fille, rien d’autre. Une fois enceinte, les tests indiquent que ce sont des jumelles. Solution? Un matin où elle les reconduit à la petite école, les deux gamines sont assises à la place du passager: "J’ai ouvert la portière, et j’ai jeté celle du dessus sur le périphérique. Et j’avoue ne pas être très contente de mon geste parce que j’ai jeté la plus sage. Il faut me comprendre, j’avais prévenu mon mari, je n’ai pris personne en traître, j’avais dit oui, d’accord, mais j’avais dit une." Et ça ne fait que commencer. Dans L’insecte, nouvelle-titre, c’est le spectre de l’inceste qui rôde entre le père et la fille. Et la mère d’en conclure que, à bien y penser, tout est de sa faute: "Quel besoin ai-je eu, perverse, d’aller parler de ses petits seins naissants à un homme qui vit sous le même toit. Je suis folle ou quoi?" Tranquillement la machine Castillon se réchauffe, la bête se réveille. Dans Un anorak et des bottes fourrées, la parole revient à une fille excédée par sa mère en phase terminale: "Elle m’énerve avec son cancer, elle n’a pas idée. […] Elle m’attrape le bras, ça m’exaspère, j’ai l’impression de promener ma grand-mère. Je vais lui acheter une laisse, avec un harnais, lui trouver une bonne raison de suffoquer."
Sentier de mines antipersonnelles et de vertiges salauds, Insecte nous fait circuler dans un territoire d’absurdité kafkaïenne, de règlements de compte et d’excès pervers. Les mères ici redeviennent des ados, gavent leurs filles de médicaments, les transforment en putes soft, ou tentent de se suicider aux suppositoires (!), tandis que les filles, elles, n’en finissent plus d’humilier, de vilipender leurs génitrices, allant même jusqu’à flirter avec l’idée du meurtre.
Si l’humour est là, il est plus que noir, il est brutalement ténébreux. On voudrait rire devant toutes ces scènes où le burlesque croise le fer avec l’ignoble, on n’y parvient pas toujours. Les phrases sont simples, sans détour, la prose serrée comme un poing, et l’ouvrage traversé d’un désespoir cul-de-sac. À noter, la dédicace de l’auteure: "À ma mère".
Insecte
de Claire Castillon
Éd. Fayard, 2006, 161 p.