Nicolas Dickner : À la pêche au gros
Pour Nicolas Dickner, les louanges se suivent et ne se ressemblent pas. Son premier roman, Nikolski, a créé la sensation littéraire de 2005, jusqu’à mériter en mars dernier le prestigieux Prix Anne-Hébert. Rencontre avec un auteur déboussolé par tous ces honneurs.
"Quatorze mois après sa sortie, le livre ne veut pas mourir", lance d’emblée l’écrivain, qui esquisse un sourire tout à fait sincère devant un tel destin littéraire. "C’est complètement inespéré, comme dans un rêve. Très peu de romans québécois vivent si longtemps… Souvent, après six mois, la vie d’un roman québécois est terminée."
Quatorze mois donc de promotion, de lectures, d’entrevues. Depuis le temps, l’auteur de Nikolski a vu beaucoup d’eau passer sous les ponts. Alto, une division de la maison d’édition Nota Bene qui a publié le roman, est devenue indépendante, les nominations et les prix littéraires se sont pointé le bout du nez, et Nicolas Dickner est devenu conférencier dans des amphithéâtres québécois ou américains. L’écrivain s’est même débarrassé de sa boucle d’oreille, celle qui lui donnait une vague apparence de pirate. Mais surtout, depuis le temps et parmi les autres chamboulements, il a dû enfin se résigner à se munir d’un agenda…
L’heure est un peu au bilan pour l’écrivain: "C’est un équilibre nouveau pour moi: manoeuvrer les activités qui me permettront de gagner mon pain tout en m’assurant de me mettre à ma table de travail pour préparer mon deuxième roman." En temps normal, lorsqu’il n’enchaîne pas les projets et les apparitions publiques, Dickner se lève chaque matin à 9h précises et, café à la main, s’assied à son bureau. La promotion et l’écriture, c’est pourtant deux activités antagonistes, surtout lorsque l’enthousiasme autour d’un livre s’étire sur plus d’un an… "Je sais, mais voilà, j’apprends au fur et à mesure. Inutile de dire que tout ça est une surprise pour tout le monde. Une heureuse surprise. Mais j’apprends."
Le Prix Anne-Hébert, qui récompense un premier roman, a en quelque sorte été la consécration pour Nikolski, ce roman atypique issu de la tradition du storytelling anglo-saxon. "Ça a été extrêmement rapide. J’ai fait l’aller-retour Cleveland-Paris, le tout en 48 heures. Tout était vraiment impressionnant. Il y a en effet peu de choses plus émouvantes dans la vie que de voir des écrivains bien établis louanger ton oeuvre…" Comble de l’émotion, le bonus aura été de rencontrer enfin Olivier Rubenstein, son éditeur français de chez Denoël, qui publiera son livre l’année prochaine.
Les métaphores marines abondent pour évoquer ce roman réjouissant et son parcours dans notre paysage littéraire. Autant d’images que de formules qui claquent au vent comme des voiles de bateau. Nikolski a souvent été qualifié de littérature "nouvelle", ou "neuve", en honneur à son histoire et à son rendu stylistique. Ce que dément pourtant Dickner: "Il ne faudrait pas exagérer, je n’ai rien inventé." Cela dit, cette prose des grands espaces semblait tomber à point…
Comme les personnages de Nikolski, Nicolas Dickner se dirige à la boussole, comme pour à la fois suivre son intuition et se sauver du désordre ambiant qui a suscité le besoin de recourir à l’instrument de navigation. Dickner n’est pas un révolutionnaire, mais un écrivain du désir, de la rêverie: "Le futur reste toujours indéterminé. C’est le passé qui me donne la matière littéraire, qui construit le désir ou l’expectative. J’écris de la sorte, avec un imaginaire des sens qui me permet de structurer mon récit à partir d’assises solides."
Le jeune écrivain s’est inscrit dans le paysage littéraire québécois avec un livre d’une rigueur impressionnante, sans pourtant recourir à des techniques littéraires en vogue, telle l’autofiction. "Je n’ai rien contre l’autofiction. Je n’y trouve peut-être rien d’intéressant pour l’instant. Je dis "pour l’instant", car c’est un style qui devient facilement lourd et prétentieux, et je ne voudrais pas succomber à cette facilité. Mais peut-être que j’y trouverai une voix qui m’appartienne un jour, du moment que je trouve quelque chose d’intéressant à raconter. Quoiqu’une vie d’écrivain, c’est pas mal ce qu’il y a de plus ennuyant sur terre…"
Dickner fait partie de ces écrivains qui entretiennent un blogue sur Internet. Ils sont quelques-uns qui donnent des nouvelles, soumettent des idées à travers ces espaces d’expression libre et ainsi établissent un lien différent avec leur public. "Il y a une certaine communauté de jeunes écrivains qui s’est créée ces dernières années, cela en grande partie grâce aux blogues. C’est intéressant: des liens se tissent là où auparavant il n’y avait rien."
Même qu’Internet est devenu un outil de prédilection pour cet auteur qui affectionne les périples du cyberespace comme autant de voyages vers l’inconnu. Souvent, c’est cet outil qui l’aide à trouver l’inspiration, à travers l’éclatement des sources d’information, à travers cette perte de contrôle qui l’aide à créer. Internet, instrument baroque: "Google a prétendument été conçu pour se rendre le plus vite possible d’un point A à un point B. En réalité, ça ne marche pas comme ça. On connaît le moment où l’on met les pieds dans Google, mais on ne sait pas à quel moment on en sort, et avec quel contenu. Cela crée du chaos, du désordre, et pour un écrivain, c’est une mine d’inspiration incroyable."
À ces paroles, on peut se demander à quel point l’utilisation d’Internet influence sa production littéraire. "Internet hachure de beaucoup mes séances de travail, et c’est ce que je souhaite. Il m’aide à la fois à me documenter sur les idées que j’aborde, à la fois à éviter de laisser des paragraphes de mon récit inachevés. Je peux créer en temps réel. C’est quelque chose de très organique, de naturel, de l’ordre de la respiration. Ce qui n’est pas le cas lorsque vous faites des recherches en bibliothèque par exemple." Par temps de pluie, pour Nicolas Dickner, vaut mieux rester chez soi.
Mais le plus grand défi qui attend Nicolas Dickner, c’est peut-être celui de devenir père. À l’automne, sa copine accouchera: "La date de tombée parfaite pour arriver à mettre le point final à mon second roman. Et comme je ne veux pas surfer sur la formule Nikolski mais faire quelque chose d’authentiquement nouveau, ça veut dire que j’ai du pain sur la planche!"
Au Salon international du livre de Québec
Rencontre d’auteurs
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Stand 235