Yves Beauchemin : Voix off
Yves Beauchemin signe, avec Parti pour la gloire, le tome 3 de Charles le téméraire, un roman engagé qui peint la réalité québécoise des quatre dernières décennies. Rencontre avec l’auteur.
"Quand j’ai entrepris ce livre très ambitieux, je voulais brosser un portrait du Québec que j’ai connu entre 1968 et 1998. Ce sont donc des personnages dans un cadre socio-économique et politique très précis. Ce que je n’avais voulu faire ni avec Juliette Pomerleau, ni avec Le Second Violon, ni dans Les Émois d’un marchand de café." Vous l’aurez compris, Beauchemin, qui n’a jamais caché ses opinions politiques, dévoile ici un roman engagé: "C’est mon livre le plus politique depuis L’Enfirouapé (1974). C’est plus facile de faire des liens avec moi dans ce tome, car on y voit Charles de 25 à 32 ans. Il y a bien des événements politiques qui se passent dans le premier tome, mais il s’agit, par exemple, de la crise d’Octobre de 1970, où Charles n’a que quatre ans. Alors, évidemment, les prises de position pour un enfant de quatre ans…" Pour Yves Beauchemin, qui a signé une quinzaine de livres, dont certains, comme Le Matou, figurent parmi les plus grands succès de notre histoire littéraire, un roman ne doit pas être un prétexte pour passer des idées: "J’ai une conception tout à fait classique et conventionnelle du roman: c’est un récit qui est appuyé sur des personnages, et si ceux-ci ne sont pas crédibles, eh bien, le roman s’écroule. Et si le récit n’est pas animé par un mouvement, tout le roman s’écroule aussi. Je n’invente rien, la tradition américaine relève de cette manière, mais on pourrait dire que c’est aussi très russe ou très Dickens. En fait, chez un romancier, si on prend le terme au sens originel, il y a toujours un conteur, parce qu’un roman, c’est un récit développé, voilà tout."
Les discussions très analytiques qui se font sur l’avenir du roman ont toujours fait sourire le romancier, parce que, pour lui, l’ennemi premier de la littérature, c’est l’ennui. "Je suis moi-même un peu attristé par les truismes que je prononce. Mais si tu n’arrives pas à accrocher ton lecteur, si tu n’arrives pas à rendre tes personnages crédibles et attachants, ou même repoussants, peu importe, ça ne marche pas. De même que si tu écris d’une façon trop efflorescente, que tu es verbeux et que tu en mets trop tout le temps, ou que tu veux trop passer des messages à tes lecteurs, tu échoues. L’autre ennemi de la littérature, c’est le mot de trop. J’ai appris ça il y a bien longtemps en lisant du Balzac. C’est une écriture très serrée. Il faut que tu puisses défendre chaque mot. Bien sûr, surtout après deux, trois tomes, je n’ai pas la prétention de pouvoir dire ça, le format lui-même (environ 1500 pages au total) fait que ce serait impossible, mais il faut essayer d’être économe, précis, rigoureux." Si Hugo parlait beaucoup dans ses romans, et que Balzac à un certain moment en faisait tout autant, puis Dickens, d’une façon plus indirecte, avec des personnages férocement caricaturaux qui camouflaient davantage le message, Yves Beauchemin, l’auteur, s’est aussi permis d’infiltrer un peu son univers: "La voix off de l’auteur, dans les 500 pages, ne représente pas plus de 3 pages, car habituellement, le narrateur est neutre. Je raconte des événements qui sont tellement accablants que de les raconter est déjà terrible. Techniquement, ce n’est pas l’auteur qui parle, c’est de la description." Mais à certains endroits, comme lorsque Lucien Bouchard parle, c’est l’auteur qui parle: "J’étais par contre très conscient des pièges du procédé; si le téléroman n’est pas un essai, le roman n’est pas un cadre efficace pour faire des messages non plus. À mon avis, la personne derrière le narrateur ne doit jamais s’exprimer trop longtemps. Quand Hugo passe des messages dans les Misérables, ça devient ennuyant." Le dernier Beauchemin, lui, n’a rien d’ennuyant!
Au Salon international du livre de Québec
Rencontre d’auteurs
Le 21 avril à 16h30
À la Scène des rendez-vous littéraires
Charles le téméraire 3 (Parti pour la gloire)
Yves Beauchemin
(Fides)