Jean Larose : Étal mixte
Jean Larose nous propose, avec Dénouement, un deuxième roman touffu en équilibre entre l’érotisme, l’ambition créatrice et l’affranchissement personnel.
Spécialiste de Rimbaud et de Proust, critique littéraire, essayiste au verbe acerbe et exact (La Petite Noirceur, 1987; L’Amour du pauvre, 1991) et professeur de littérature à l’Université de Montréal, Jean Larose impose par son profil. Polémiste qui n’hésitait pas à pourfendre les travers politico-culturels québécois par le biais d’interventions musclées témoignant d’un constant souci de la langue, il publia en 1998 Première jeunesse, un premier roman remarqué ayant pour cadre l’univers de l’éducation des années 60. Huit ans plus tard, il nous offre ce Dénouement, une oeuvre plus personnelle, plus labyrinthique également, traçant le parcours en lignes brisées d’un homme aux prises avec son passé, ses idéaux de jeunesse, ses désirs tentaculaires, et soumis, presque malgré lui, aux vertiges d’une délivrance inespérée.
Cet homme, c’est François L., fonctionnaire au Service de la faune nouvellement retraité projetant de disparaître en Californie afin de terminer un roman. Il fera un bout de chemin avec Esther Rinfret, romancière à succès lui ayant proposé sa compagnie lors d’un lancement. Or, elle n’est pas seule dans la stratosphère féminine du narrateur. Il y a Elmina, l’amante étrangère et Gabrielle, la voisine d’en face qu’il épie la nuit, fasciné: "(…) cette femme écrivait jusqu’à l’aube, page sur page, infatigablement, sans se relire. (…) Elle nouait et dénouait les mailles d’un monde." Des femmes-satellites gravitant en orbite autour de cet homme plongé dans les amorces d’un vieux roman commencé à Paris. Cet homme à femmes et de lettres en devenir pataugera dans "le Nombre", cette force abstraite et grouillante l’enveloppant comme une illusion de puissance et le poussant à commettre "le roman du siècle". Ce qui n’arrivera pas.
"L’Homme du fils", la deuxième partie, nous plonge sans crier gare dans la mélancolie d’un quotidien de père révélant la dévotion qu’entretient le narrateur à l’égard d’Adrien. Autant l’éros s’avérait un tremplin vers l’écriture, autant cet amour presque religieux envers le fils tempère les ardeurs créatrices nietzschéennes de François et installe de nouveaux paramètres. Enfin, "L’Obscur avant moi", troisième segment composé de lettres écrites à Gabrielle, scelle un passé de défaillances et d’impasses, déployant par le fait même un horizon de renouveau où amour et écriture fusionnent.
Traversée plus que sinueuse du désert, Dénouement s’avère au final d’une lourdeur difficilement respirable. Sa structure complexe, enchâssant fragments de romans fictifs et moments épistolaires, pourrait à la rigueur séduire le lecteur exigeant. Cependant, les afféteries de la prose, même dans les passages les plus déliés, minent toute forme de contact réel, incarné avec l’expérience intérieure ici dépeinte. Malgré ses louables ambitions, l’oeuvre de Jean Larose nous rappelle que le raffinement d’un style peut parfois faire de l’ombre sur l’essentiel. Henri Bergson: "L’art de l’écrivain consiste à nous faire oublier qu’il emploie des mots."
Dénouement
de Jean Larose
Éd. Leméac, 2006, 284 p.