Monique Le Maner : Vider son sac
Monique Le Maner signe une intrigante "fable de rue" ayant pour motif central le rapport maladif que l’homme entretient avec ses déchets domestiques.
Dans un obscur bout de rue situé près d’une école primaire, se dresse une modeste rangée de duplex habités par des proprios mesquins et des locataires désinvoltes. Les relations entre tous ces voisins, marquées par l’hypocrisie, les commérages et les non-dits, atteignent un sommet de tension les lundis et les jeudis… jours des poubelles. Concierge de l’école, Jack consacre le temps libre passé dans son petit deux et demi à façonner amoureusement son sac de plastique noir, lui donnant cette forme idéale que serait bien en peine d’imiter le jeune Christian, parfait irresponsable en matière de déchets, qui jette toujours son sac d’épicerie à moitié rempli et mal noué dans la poubelle publique sous le regard haineux de son propriétaire. Et pendant qu’un duo de retraités, Henri et Adrienne, se disputent à savoir qui va sortir le bac de recyclage, on s’interroge ailleurs sur le récent suicide de celle que le bout de rue surnomme encore unanimement la "vieille aux gros sacs orange".
Tour à tour déconcertant, drôle et sordide, le dernier roman de Monique Le Maner, Maman goélande, doit être lu comme ces pièces d’Eugène Ionesco et de Samuel Beckett dont l’absurde engendrait à la fois le comique et le désespoir, renvoyant l’homme à sa misérable condition. Tissant une intrigue entièrement conçue autour de nos rapports plus ou moins malsains avec les ordures – sujet anti-romanesque s’il en est -, l’écrivaine relève le défi de montrer ce que symbolisent celles-ci pour des personnalités aussi différentes que possible: l’obsessive-compulsive, l’antisociale, la psychopathe… Car les ordures, que chaque mortel normalement constitué dépose deux fois par semaine sur son trottoir, ce sont "nos ombres à nous, les reliefs de nos vies, de nos heures, de ce qu’on a vécu, de ce qu’on a été les seuls à vivre de cette façon-là"…
Loin de constituer une chronique de l’ordinaire, la mise en scène de ce pathétique "îlot d’ombres entre le stop et le feu rouge" contient son lot de tragédies: des disparitions jamais élucidées qui se sont accumulées au fil des années, et toujours les lundis (premier jour des poubelles), allant du caniche du vieux Maurice dont les jappements dérangeaient tout le quartier à la petite fille d’Henri et Adrienne, couple irrémédiablement brisé par cette terrible perte… Lorsque, un jour d’hiver, une effroyable tempête de neige menace la quiétude des résidants et le bon ramassage des ordures, tout est mis en place pour un nouveau drame que pressentent les femmes réunies chez la Rita, jeune voisine atteinte de "la maladie de l’écureuil gris", un trouble psychologique qui l’empêche de jeter quoi que ce soit, la forçant à empiler les sacs de détritus dans son corridor.
À qui donc appartiennent ces morceaux de bras retrouvés deux fois de suite dans la neige après le passage de la benne à ordures? Et qui est ce mystérieux "enfant-déchet", abandonné à sa naissance dans une poubelle et ayant grandi dans un dépotoir, dont des segments de journal nous sont donnés à lire? Une chute magistrale éclaircira tous les secrets du grand trouble collectif, sans en extraire pour autant le mal. Car comme l’exprimera Adrienne dans un moment de lucidité philosophique, "on a tous des petits tas d’ordures dans la tête, collés dans les coins, et on mourra avec. On s’imagine qu’on peut faire le ménage, mais c’est pas vrai".
Maman goélande
de Monique Le Maner
Éd. Triptyque, 2006, 156 p.