Nicole Richard : Entre quatre murs
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Nicole Richard : Entre quatre murs

Nicole Richard signe, avec Intra-muros, un premier recueil de nouvelles nous plongeant dans les solitudes silencieuses d’un établissement psychiatrique.

La folie. Le monde se désaxe et se gorge de brouillard. On le sait, ceux qui en font l’expérience deviennent leurs propres prisons, captifs et retenus dans leur corps, leur esprit, exactement comme à l’intérieur de ces lieux où on les garde. Avec Intra-muros, Nicole Richard traverse les enceintes et le mutisme de ces êtres des limbes, proposant une intrigante première incursion dans la fiction. D’abord poète, l’auteure nous avait habitués à des recueils explorant entre autres les effets concentriques de la prostration, la pauvreté intime, la dépossession. Dans Les Marcheurs, son deuxième ouvrage (1998, Le Noroît), elle écrivait: "Les voix intérieures s’entretuent / dans les recoins du corps le nombre / des déceptions ne mène nulle part." Des voix intérieures qui, ici, s’avèrent celles des occupants mâles d’une aile psychiatrique, chacune se déployant en une confession ou une histoire qui s’apparente de près ou de loin à un tableau psychique.

"Les pensionnaires ne se parlent pas, chacun sous la lentille du microscope géant se désintègre entre les siestes, oui, de longs moments à se reposer entre les cigarettes permises et les mauvaises blagues", nous renseigne celui qui se dit "le gardien de sécurité". Dans Le Dévot et l’Insecte, le narrateur et amant de Victor lui assène un coup de poing au ventre afin qu’il cesse de se taper "la tête contre des murs invisibles". On rencontre également "l’écrivain de l’établissement", un des plus rusés, dont les écrits aboutissent chaque jour dans la corbeille; le pongiste, surnommé Docteur, sorte de mâle alpha régnant dans la salle commune; les deux hommes de L’Attente, probablement le texte le plus touchant, chacun faisant l’expérience d’une déchirure implacable; le narrateur de L’Appel qui vandalise ses tiroirs et urine autour de ses meubles afin de contrer l’invasion de présences clandestines; et ce fugueur dans Exit, entre autres, dont un épisode dans le métro l’a rapidement ramené à l’institut, en retrait de ce monde où il eut tout juste le temps d’apprendre que "dehors la vie rature à toute vitesse".

Il y a dans ces courtes nouvelles – de deux à six pages – une sévérité de l’affect aux accents beckettiens parfaitement accordée au projet du recueil. S’articulant autour du motif de la réclusion, l’ouvrage se divise en deux parties judicieusement intitulées "Intrusion" et "Impasse". Par là, le fait de pénétrer dans des psychés où la raison se disloque sans cesse au contact du réel ne peut aboutir qu’à un cul-de-sac aussi intimidant que des grillages vissés aux fenêtres. Nicole Richard prend en charge cet état de fait et se garde bien de parsemer cette traversée des gouffres de signes d’espoir ou autres lueurs factices. Cela s’appelle la justesse. Les phrases sont ciselées avec soin et d’un rythme tantôt lapidaire, tantôt délié. Seul bémol: l’écriture parfois maniérée sonnant faux dans la voix des personnages qui, ainsi, se retrouvent tributaires d’une étrange éloquence, difficilement assimilable à la pauvreté de leur statut.

Intra-muros
de Nicole Richard
Éd. L’instant même, 2006, 96 p.

Intra-muros
Intra-muros
Nicole Richard