José Acquelin et Martine Audet : Les ailes du désir
José Acquelin et Martine Audet publient à l’unisson Personne ne sait que je t’aime, un livre-disque d’une force tranquille où la poésie se lit et s’écoute.
Il y a deux semaines, on signalait dans ces pages la naissance d’Hôtel Central, une nouvelle collection dirigée par Christine Germain chez Planète rebelle, maison fondée en 1997 et se spécialisant dans l’édition écrite et audio du conte, du spoken word et de la poésie. Ce que propose Hôtel Central est un lieu de rencontre entre poésie et musique au sein duquel sont réunis deux poètes et un compositeur, chacun explorant les mots et la résonance d’un espace-temps imaginaire.
Magnifiquement intitulé Personne ne sait que je t’aime, le premier recueil de la collection est signé José Acquelin et Martine Audet, deux poètes d’importance dans le panorama québécois et dont le jumelage s’avère ici aussi judicieux que fécond. Joint à l’ouvrage, on retrouve ce disque sur lequel les auteurs se commettent à voix haute, accompagnés des musiques et environnements sonores de Michel F. Côté, membre du collectif Ambiances Magnétiques et ayant collaboré avec différents metteurs en scène, chorégraphes et cinéastes. Une sorte de troisième poète dans l’ombre, un disciple de l’écoute dont le travail exacerbe avec brio la calme incandescence des poèmes. Le résultat de ce métissage? Aérien.
On entre dans cet univers comme dans un hôtel presque abandonné, à l’exception de ces deux voix chuchotantes qui le peuplent. Un poète a pénétré dans une chambre et y a laissé un poème, une vision, une parole en suspens dans le silence, éclairant à sa manière l’autre poète, son interlocuteur fantôme, qui fera de même, laissera derrière lui, derrière elle, un ou deux poèmes signés de son prénom, comme une lettre, dans la chambre suivante. Ainsi, de la Réception à la Chambre 33, on circule dans un recueil à relais où les écritures se font signe, s’éloignent, se rapprochent, créant de la sorte un véritable échange poétique, délié et poreux.
Si le titre de l’ouvrage évoque le secret et le sentiment amoureux, c’est davantage pour proposer un ton, la composition d’une atmosphère. Car l’amour ici transcende le coeur à coeur et met davantage en lumière "la nudité des choses se déshabillant d’elles-mêmes" (J.A.), le mystère de la parole, le vertige bienveillant de l’invisible. Comme le formule si bien Martine Audet, "écrire fait plus de silence / à aimer", et c’est cet amour décuplant son propre battement autour de lui qu’entretiennent, comme un écho continu, les voix complices du tandem, que l’on peut entendre dans la Chambre 14: "tu m’en dis plus long / avant même d’avoir entrouvert / les lèvres" (J.A.) ou la Chambre 17: "tu fais un peu d’espace / pour ta voix" (M.A.).
Plus qu’un exercice de parcours, Personne ne sait que je t’aime se révèle un livre à part entière au sein duquel José Acquelin et Martine Audet poursuivent leurs oeuvres respectives avec exigence, nous rappelant en sourdine que "tout ce qui rêve / prend des leçons" (M.A.), que "la vie a d’autres vies / que nos vies" et que la poésie, parfois, n’est pas que dans les mots qui la composent, mais dans la lenteur qu’elle propose.
Personne ne sait que je t’aime
de José Acquelin et Martine Audet
Musiques originales de Michel F. Côté
Éd. Planète rebelle, coll. "Hôtel Central"
2006, 64 p.