Ève de Castro : Le pacificateur
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Ève de Castro : Le pacificateur

Ève de Castro avait trois objectifs en écrivant La Trahison de l’Ange: parler des différents chemins que prend le sentiment amoureux aujourd’hui, décrire une forme de radicalisme islamique non violent, et offrir un thriller d’aventures qui ne répand pas le sang. Mission accomplie.

La Trahison de l’Ange est composé de plusieurs univers, que vous semblez tous bien connaître: le monde de Siegfried & Roy, le mah-jong et la religion islamique. Comment vous y êtes-vous prise?

"Mon activité principale, c’est d’écrire des romans, mais je suis aussi scénariste et journaliste. Donc, pour mes romans, comme pour mes scénarios et mes articles, je vais sur place pour voir, j’apprends, et ensuite j’en parle."

L’un des buts du roman est-il d’expliquer comment une personne peut devenir extrémiste?

"Non, Lancelot ne devient pas un terroriste, mais son image et son être sont manipulés. Sans le vouloir, il tombe dans un piège qui le fait devenir un Jésus (un symbole) d’aujourd’hui sacrifié par l’islam."

Malek (le Faon), par contre, est un extrémiste…

"Oui, même si le roman est aussi une réflexion autour du thème: peut-il exister un fondamentalisme islamique qui ne soit pas terroriste dans le sens où on l’entend depuis les attentats du 11 septembre 2001? Depuis le 11 septembre, quand je vois la façon dont l’Occident, et surtout les Américains, attise la haine des musulmans par son comportement (la croisade du Bien contre le Mal), il est clair que si j’étais née en terre d’islam, j’aurais l’impression d’un viol et d’une humiliation rappelant celle des Croisades. Avec Malek, j’avais envie de bâtir un personnage qui se révolte contre ce que représente l’Occident. Par contre, il ne prend pas les chemins d’Al-Qaïda. Il fait la promotion de la cause de l’islam sans verser de sang."

Peut-on dire que La Trahison de l’Ange est un thriller psychologique?

"Oui, mais ce n’est pas un polar au sens classique du terme. Je voulais parler de choses graves, sans faire d’essai politique. À mes yeux, le thriller, c’est dynamique, ça n’a pas l’air de se prendre au sérieux, tout en permettant de dire des choses importantes. Si on veut le voir comme un simple thriller, c’est possible, mais si on veut s’interroger davantage, on le peut aussi car l’information est là. On peut aussi voir le roman comme une histoire d’amour d’aujourd’hui, c’est-à-dire une histoire d’amour au pluriel, qui raconte la relation passionnelle entre un demi-frère et une demi-soeur (Lancelot et Julie) issus d’une famille recomposée. C’est une question qu’on ose rarement aborder, mais je voulais en parler. J’aborde aussi le thème de la bisexualité. Je ne sais pas si c’est pareil pour les femmes, mais j’ai remarqué qu’il y avait de plus en plus d’hommes qui aimaient à la fois les hommes et les femmes."

Le roman comporte trois niveaux de langage: celui du journaliste Nat Ndouala, de la star de la chanson Julie Osmond, et de Lancelot, emprisonné à Guantanamo. Pourquoi?

"Pour que l’histoire semble vraie. Quand on écrit pour la télévision, il faut que tout ce qu’on écrit puisse être dit, et que ça sonne juste."

Pourquoi avoir délaissé l’écriture de romans historiques (comme Les Bâtards du soleil, en 1987) pour écrire un roman actuel, même s’il est à caractère historique?

"Ça me fait plaisir que vous disiez cela; vous êtes la première à le voir. Depuis le 11 septembre, on est dans une nouvelle page d’Histoire avec un grand H. Avant, j’écrivais en voyageant dans le temps. Le 11 septembre m’a cependant ancrée dans le moment présent, et je me suis dit que je n’avais plus le droit de baisser les paupières pour continuer à voyager confortablement dans le temps."

La Trahison de l’Ange met la table pour une suite, n’est-ce pas?

"Vous croyez?"

Oui, c’est évident!

"Au départ, je me disais que la suite, c’était aux lecteurs de l’écrire. Puis on m’a posé la question, et j’ai réalisé que j’aimerais poursuivre avec le personnage d’Alice. Cela dit, je ne peux pas l’écrire pour l’instant, car Fidâ (le fils de Julie et Malek) n’est pas assez vieux, et j’ai un autre projet d’écriture à réaliser avant."

De quoi s’agit-il?

"D’un roman sur le racisme et l’intolérance. Ce sera un roman tout simple, pour me libérer de ce que je viens d’écrire. Ensuite, j’écrirai peut-être la suite de La Trahison de l’Ange."

ooo

L’existence de Nat Ddouala, survivant du génocide rwandais et journaliste de guerre, est sur le point de changer. En décembre 2001, il remporte un tournoi de mah-jong et son adversaire, le Faon, au lieu de lui donner de l’argent, lui propose le scoop du siècle. Bon joueur, Nat choisit le scoop en rapport avec les attentats du 11 septembre. Dès lors, la chasse commence. Par l’entremise de son enquête, Nat démêle la complexe toile tissée par le Faon en utilisant à leur insu les deux autres narrateurs du roman: Julie Osmond, une chanteuse névrosée, et son frère Lancelot, capturé par les Américains en Afghanistan, puis torturé à Guantanamo. La Trahison de l’Ange n’est pas un roman simple. Les thèmes abordés sont délicats et complexes, et les enjeux, pas toujours faciles à comprendre. Avec de la persévérance, on découvre cependant une intrigue bien ficelée, qui vaut la peine d’être lue pour sa résonance humaine.

La Trahison de l’Ange
d’Ève de Castro
Éd. Robert Laffont, 2006, 432 p.

La Trahison de l'Ange
La Trahison de l’Ange
Ève de Castro