Des cendres sur la glace de Georges Lafontaine : Une fable de Lafontaine
Depuis son Outaouais natal, Georges Lafontaine, récipiendaire du prix de la relève littéraire Archambault 2006, nous propose le premier d’une série de romans qui renouvelle le genre de la saga du terroir.
Si vous n’avez encore jamais entendu parler de lui, c’est normal. Son premier roman, Des cendres sur la glace, paru il y a plus d’un an, au début 2005, est relativement passé inaperçu dans la jungle de l’édition montréalaise à sa sortie. Heureusement, l’attribution du prix Archambault corrige cette situation. Parce que cette histoire méritait mieux que l’anonymat. Et qu’elle peut réjouir de nombreux lecteurs provenant d’horizons complètement différents.
HISTOIRE DE PÊCHE
La quatrième de couverture, à l’instar des 85 premières pages, n’annonce rien de bien excitant. Imaginez: une histoire d’amour s’échelonnant sur sept décennies, avec comme protagonistes Achille, un jeune bûcheron francophone catholique de Maniwaki, et Adela, une adolescente enceinte, donc fugitive, anglophone protestante de Terre-Neuve, réunis en plein coeur de l’Outaouais profond au début du 20e siècle. Ce récit ne nous promet rien de plus qu’une autre romance folklorique fleurant la gomme de sapin qui vient souder ces deux solitudes sur fond de chicane d’eau bénite. On connaît la recette; l’amour est plus fort que la raison et la religion. Le filon a déjà abondamment été exploité, jusqu’à épuisement.
Alors que j’allais abandonner ma lecture, amèrement déçu que ce livre se soit mérité un prix destiné à la "relève", Lafontaine a réussi à ferrer son poisson. Et j’avoue qu’il sait user de l’hameçon. Si bien qu’il m’a traîné au bout de son fil à pêche jusqu’à la toute dernière ligne. Et il ne s’agit pas que d’un hasard! Notre homme connaît l’appât des mots.
Il a pratiqué le journalisme écrit et possédé une station de radio dans sa région. Il occupe maintenant un poste d’attaché politique pour le député du coin. Autrement dit, il maîtrise un tant soit peu les rudiments de la manipulation! Et on ne se plaint pas de se faire ainsi harponner.
FAIRE DU NEUF AVEC DU VIEUX
Dès le début du roman, sur le perron de la maison en bois rond que nos amants habitent depuis une éternité, on apprend la mort d’Adela. On pense que ce n’est pas trop malin de commencer par la fin. Mais on n’a encore rien vu, ou plutôt rien lu. Le vieil Achille, maintenant octogénaire, rêve d’exaucer le voeu de sa défunte: il lui a promis qu’elle retournerait un jour chez elle. Malgré son âge avancé, Achille décide donc de ramener les cendres de sa conjointe (ils n’ont jamais été mariés, l’intégrisme religieux de l’époque interdisant le croisement entre catholique et protestant) à Terre-Neuve.
Mais notre héros est d’une autre époque. Pas question de louer une voiture ou de prendre l’avion. Son moyen de locomotion privilégié, c’est le canot. Pas en fibre de verre! Le sien est de fabrication artisanale, comme de sages Amérindiens lui en avaient enseigné la confection. Il entreprend donc une incroyable odyssée; descendre depuis son village la rivière Joseph, rejoindre la Gatineau, puis celle des Outaouais, le fleuve Saint-Laurent, pour enfin naviguer dans le Golfe jusqu’à l’île natale de son Adela.
Bien sûr, on pense qu’Achille n’est qu’un fou, un autre vieillard égaré dans une crise d’Alzheimer. Et cette croisière deviendra vite une curiosité bien attrayante pour les vautours médiatiques. Ce qui nous vaut une scène jouissive de cirque judiciaire sous le chapiteau du Palais de justice de Montréal. Pour rester dans la métaphore maritime, disons que requins et dauphins s’affrontent pour profiter de ce saumon qui tente de frayer jusqu’aux origines de sa bien-aimée.
En dépit de sa poésie forestière un peu surannée, le caractère journalistique presque documentaire de ce roman réussit à faire le pont entre le passé et le présent. Il nous fait le coup de la grande séduction. N’attendez pas le film (même si on en fera sûrement un); c’est clair comme de l’eau de roche que le livre est meilleur.
Des cendres sur la glace
Georges Lafontaine
Guy Saint-Jean Éditeur
2005, 382 p.