Sébastien Chabot : L’enfance de l’art
Sébastien Chabot poursuit sa fouille dans le terreau de la tradition littéraire québécoise avec L’Angoisse des poulets sans plumes. Il ne renie pas pour autant sa modernité. Au contraire!
Loin des errances de l’éternel adolescent qui se cherche sur le Plateau Mont-Royal, et qui caractérisent moult récits de ses contemporains, l’auteur de Ma mère est une marmotte (Point de fuite, 2004) explore le riche filon de l’enfance dans un Québec si profond qu’on croirait se ramasser au bout du monde. Là où l’asphalte finit. Mais on y retrouve de bien beaux nids-de-poule!
Retirée au fond d’un rang de la vallée de la Matapédia, en Gaspésie, la famille Marchaterre, nombreuse s’il en est, gagne sa pitance en fabriquant les oreillers les plus douillets de la région. Son secret: elle les fourre de plumes arrachées à même des poulets toujours vivants.
Le héros de cette fable truculente se prénomme Perceval. Treizième enfant de la tribu, il vient au monde alors que sa mère tente de se pendre. On oubliera ce nouveau rejeton sous la table de la cuisine où il se nourrira des ongles d’orteils de son père tout en maîtrisant le domptage des mouches et en découvrant le pouvoir de ses yeux trop grands.
Rejeté de tous, il trouvera enfin un complice dans sa fratrie en sauvant son frère aîné, masturbateur compulsif, lorsqu’il trébuchera dans l’escalier menant à la cave à concombres pour y dissimuler son sperme. Cette alliance redéfinira la teneur de leurs rapports affectifs. "Je sais que l’amour est une cage lancée sur quelqu’un pour se protéger de ses griffes et de ses dents qui pourraient l’empêcher de se donner complètement à notre langue, nos doigts et notre envie d’avoir toujours quelqu’un se traînant dans notre ombre."
Il s’agira de la première d’une série de tragédies enflammées et meurtrières qui conduiront, dans la seconde partie du roman, le benjamin des Marchaterre à l’orphelinat du Précieux-Sang-Versé. Ce sera alors au tour des prêtres de goûter à la médecine de Perceval.
On aura compris que nous sommes loin de la saga familiale naturaliste souvent associée au roman du terroir. Pourtant, L’Angoisse des poulets sans plumes s’inscrit dans une filiation littéraire proprement québécoise. Proprement québécoise parce qu’elle n’est ni française, ni américaine (alors qu’on définit souvent la "littérature québécoise" comme étant un hybride franco-américain).
Les archétypes du père autoritaire dépossédé de son pouvoir, de la mère reproductrice mais suicidaire et d’un clergé symbolisant la loi à transgresser sont confrontés à celui de l’enfance, véritable incarnation de l’innocence, de la liberté, de la rédemption.
On peut sans doute appliquer différentes grilles d’analyse intellectuelle à cette lecture (psychanalytique, structuraliste, marxiste…). Ça occupera les universitaires qui décortiquent le corpus de la littérature québécoise. Mais on peut surtout s’amuser à corps perdu en plongeant dans cette angoisse poétique et rigolote. On s’y vautre avec malaise et délice. On en ressort avec un peu de fumier sous les ongles et quelques plumes d’oreiller dans l’imaginaire! Un cauchemar écrit comme un rêve.
L’Angoisse des poulets sans plumes
de Sébastien Chabot
Éd. Trois-Pistoles
2006, 166 p.