Clara Ness : Fil d'Ariane
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Clara Ness : Fil d’Ariane

Clara Ness lançait il y a peu Genèse de l’oubli, un deuxième roman qui marque – déjà! – une rupture de ton. Nous l’avons rencontrée à Paris, où elle complète une maîtrise en  littérature.

Vingt-trois ans, deux livres et des poussières – en revues ou ailleurs -, et voilà Clara Ness déjà inquiète de sa liberté, redoutant d’être mise en case. Ainsi font-elles toutes, ce premier roman manière Philippe Sollers publié en 2005, avait fait, il est vrai, un bruit étonnant pour le coup d’envoi d’une petite étudiante originaire de l’Outaouais et exilée à l’Université Paris VII-Denis Diderot.

On en connaît plusieurs qui auraient tablé pendant quelques titres au moins sur le numéro gagnant, mais Clara Ness a préféré se surprendre et nous surprendre. "En librairie, dit-elle en souriant, je voyais mon roman dans la section littérature érotique/homosexuelle… J’ai eu un peu peur de ça. Je n’avais pas envie d’être cataloguée comme jeune femme qui écrit de la littérature érotique."

À 180 degrés de la fête sensuelle et jouissive offerte l’an dernier, voici donc le double portrait de familles disloquées. Des désirs forts, assouvis ou non, tabous ou pas, il y en a toujours ici, mais la trame relève d’abord des relations familiales. De ce qui peut se déchirer entre un père célèbre et son fils, entre une fille et ses parents pourtant dévoués; du temps qu’il faut pour rebâtir les ponts. "Ce livre-ci est écrit à la troisième personne, alors que le premier était écrit au je. Cette fois, je voulais vraiment me lancer dans une recherche quasi anthropologique sur la recherche des origines, sur tout ce que les ancêtres peuvent nous dire sur le présent – sans bien sûr tomber dans quoi que ce soit d’ésotérique!"

La romancière nous introduit d’abord dans la vie d’Hadrien, fils d’un grand comédien français, qui un jour plaque tout pour aller vivre dans la vieille capitale québécoise. Là-bas, lui qui en a bavé d’évoluer dans un monde d’apparences et de mensonges bon ton se contentera fort bien d’un boulot de chauffeur de taxi, goûtant cette liberté d’agir et de penser dont sa jeunesse avait été vidée. Dans un salon de massage, il rencontre Ariane, qui y gagne sa vie comme elle peut. Une relation se noue entre deux êtres éloignés mais qui portent des manques similaires. Survient bientôt un bébé, impromptu mais aimé, qui scelle quelque chose ressemblant de plus en plus à une famille. Petit système imparfait mais viable, jusqu’au jour où meurt le père d’Hadrien. Élément déclencheur. Ce père qu’il haïssait et à qui il ne parle plus depuis des années, va-t-il aller lui rendre un dernier hommage comme le presse de le faire sa mère?

"J’ai d’abord pensé faire d’Hadrien le personnage principal, se souvient Clara Ness, puis, en regardant Mulholland Drive, j’ai trouvé l’idée de deux personnages qui vivent la même chose mais dont les psychologies sont très différentes. J’ai repris l’idée d’un schéma narratif avec deux parties distinctes autour d’éléments centraux." Nous voici donc dans la tête et le coeur d’Ariane, issue d’une bonne famille de Sainte-Foy, qui elle a fui "ce que l’Amérique avait inventé de plus laid, de plus médiocre, de plus odieux, l’endroit du plus mauvais goût de la terre, le plus violent et le plus morbide: la banlieue". Étudiante en art dramatique, jeune maman vaguement dépassée par les événements, Ariane essaie tant bien que mal de conjuguer ses pulsions aux nouvelles exigences de sa vie. Comme en réponse indirecte aux tourments d’Hadrien, elle tentera aussi un pas vers ladite banlieue, vers cette famille qui vieillit en marge de son existence.

GENÈSE DE LA GENÈSE

"À la période où j’écrivais Genèse de l’oubli, j’ai voulu affronter des choses que je n’avais encore jamais voulu affronter, confie Clara Ness: la famille, le couple, le XIXe siècle, la nostalgie, la mélancolie. Alors j’ai lu des choses comme Zola, Balzac, Stendhal… Tout un siècle qui pour moi était le berceau du mauvais goût de l’humanité dans lequel nous versons encore complètement, parfois…" Rien que ça! "J’avais envie de décrypter le comportement de ces artistes qui vont tout sacrifier au profit de leur art, poursuit l’écrivaine, de même que le comportement d’un enfant qui est en réaction par rapport à un père qui ne lui laisse pas d’espace." Un certain épisode, vers la fin du livre, suggère d’ailleurs qu’Hadrien a lui-même un grand talent d’acteur. On lui fera une proposition tentante, qu’il déclinera sans hésiter. "Quand on vient d’un milieu intello et bourgeois, on peut être dégoûté par tout ça."

Celle qui se considère aujourd’hui comme Française ("J’ai tous mes papiers, j’ai mon appartement, je vis ici…") complète actuellement une maîtrise autour de l’écrivain et photographe Denis Roche et de l’esthétique de la destruction. "Il aurait tant voulu être le dernier grand poète français!", dit Clara Ness, avant de rappeler que l’auteur de Dépôts de savoir et de technique (1980) a aussi été un éditeur d’importance au Seuil, lui qui a publié entre autres, dans sa collection "Fictions & Cie", Catherine Millet. "Mes études m’amènent à réfléchir beaucoup sur la fin du littéraire, sur le fait qu’on est peut-être arrivé en France à un degré de pourrissement de la création, à un tel degré de sophistication que, comme toute grande société qui en arrive là, va vers son déclin. Chose certaine, il est difficile aujourd’hui de créer."

Sa création à elle ne fait déjà plus l’unanimité, en tout cas. Certains chroniqueurs, qui lui avaient déroulé sans hésiter le tapis rouge de la jet set littéraire, ont, ces dernières semaines, replié l’essentiel de leur approbation. Il faut dire que Genèse de l’oubli, avec ses bouffées d’érotisme ravalées aussitôt, ses tonalités plus prévisibles, laisse l’impression que Clara Ness n’a pas tout à fait évité le danger de s’enfermer dans une structure limitant les jaillissements stylistiques qui avaient ébloui l’an dernier. Or elle est allée au bout de son projet, est arrivée comme elle le souhaitait là où on ne l’attendait pas, et signe un livre néanmoins semé de trouvailles, qui annonce des pages fortes. Aussi est-il peut-être nécessaire de redire en le bouclant les premiers mots de ce papier: vingt-trois ans…

Genèse de l’oubli
de Clara Ness
XYZ éditeur
2006, 116 p.

Genèse de l'oubli
Genèse de l’oubli
Clara Ness