Natasha Beaulieu : La fin d’un monde
Natasha Beaulieu conclut de brillante façon sa trilogie des Cités intérieures, entreprise avec la parution en 2000 de L’Ange écarlate. Dans L’Ombre pourpre, l’écrivaine répond à toutes nos questions, et mieux encore.
Dans son premier roman, L’Ange écarlate, Natasha Beaulieu entraînait le lecteur dans un univers particulier, peuplé d’êtres aux pouvoirs surnaturels et capables d’aller dans d’autres mondes – la Cité de Penlocke, la Cité sans nom et Kaguesna, tous situés à l’intérieur du nôtre – grâce à l’Eau noire.
Avec L’Eau noire, publié en 2003, l’auteure développait davantage la psychologie des personnages, de sorte qu’on apprenait à les connaître et à les aimer, en plus de comprendre leurs motivations. Dans L’Ombre pourpre, Natasha poursuit sur la même lancée, et boucle de manière très satisfaisante les nombreuses questions laissées en suspens dans les précédents romans. C’est avec beaucoup de regret qu’on tourne la dernière page du dernier volet de la saga fantastique gothique, qui a mis au monde une écrivaine à l’imagination débridée.
Jusqu’à maintenant, les commentaires au sujet de L’Ombre pourpre sont tous positifs, au grand soulagement de la principale intéressée, qui avoue en riant avoir travaillé très fort: "Je voulais que les lecteurs soient contents. Le poids de l’attente du lecteur, qui veut être à la fois surpris et satisfait, était très présent tout au long de l’écriture. Ce n’était pas un stress, mais j’étais consciente des nombreux défis qui m’attendaient; il y avait tellement de choses à expliquer, c’était même compliqué pour moi!" s’exclame la romancière.
Ainsi, chaque fois qu’un détail ne lui semblait pas clair, Natasha retournait consulter ses premiers romans: "Je ne pouvais pas avoir tous les détails en tête. Quand j’ai commencé L’Ange écarlate il y a dix ans, je ne savais pas encore vraiment où je m’en allais. L’histoire s’est ensuite définie dans L’Eau noire, mais je me rends compte aujourd’hui que ce que je voulais vraiment faire au départ, c’était impossible, à moins d’écrire dix livres", explique-t-elle. Même si l’idée aurait pu être intéressante, Natasha admet qu’elle est contente d’avoir bouclé la boucle à l’intérieur de trois romans: "Ce sont mes premiers romans, je suis contente du résultat, mais je suis aussi contente de passer à autre chose. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre", assure celle qui a également écrit des dizaines de nouvelles, publiées notamment dans les revues Solaris, Stop, Horrifique et Alibis.
Natasha ne s’en cache pas, elle a ressenti un certain soulagement en mettant le point final à L’Ombre pourpre. Quand elle a entrepris Les Cités intérieures, elle savait que la réalisation de la trilogie lui prendrait plusieurs années, pour une raison bien simple: l’écriture n’est pas encore son gagne-pain. "Il m’arrive aussi de ne pas écrire pendant plusieurs mois, puis à un moment donné, j’écris beaucoup, beaucoup. Ce n’est pas par manque d’inspiration, au contraire, parfois j’ai trop d’idées. Mais j’ai besoin de laisser mijoter les choses", explique l’auteure, qui souhaite un jour consacrer tout son temps à l’écriture, et aux voyages.
LES SECRETS DES CITÉS INTÉRIEURES
En entreprenant la rédaction de L’Ombre pourpre, Natasha s’est lancé un gros défi: construire un roman qu’on puisse savourer sans avoir lu au préalable L’Ange écarlate et L’Eau noire. Le résultat est probant, même s’il a été difficile à atteindre: "Je devais mettre la juste dose d’information, sans trop retourner en arrière. Je ne voulais pas ennuyer les lecteurs qui avaient lu les deux premiers", précise-t-elle. Conséquemment, celles et ceux qui n’ont pas encore découvert l’univers de Natasha – ou qui ont lu L’Ange écarlate et L’Eau noire il y a déjà quelques années – n’auront aucun problème à comprendre les enjeux de L’Ombre pourpre: des années après avoir peint une murale baptisée La Cité de la Peste, Jimmy Novak se retrouve dans la Cité de Penlocke à la recherche de sa fille, Aïa, disparue par l’Eau noire. Durant son séjour dans la cité intérieure peuplée par les exclus de Kaguesna, il constate qu’un mal étrange est en train de décimer la ville. Puis, alors qu’il se croyait capable de contrôler la force noire qui l’habite, le voici de nouveau en proie à une terrible violence. Alertés par monsieur Sing Song, Stick et Jack rappliquent à Penlocke et se mettent en quête d’un moyen de le guérir.
Pendant ce temps, à Londres, Mercury Chesterfield lit un manuscrit destiné à son employeur, l’immortel David Fox. Dans le livre qui porte le titre de Bo Betchek, la jeune femme aux yeux mercure découvre ses origines, et l’histoire du peuple de Kaguesna. Déterminée à comprendre pourquoi l’auteur du Bo Betchek affirme vouloir la garder pour elle, Mercury part à sa recherche. Son entreprise la conduit jusqu’à Montréal où elle retrouve François. Mais le temps presse, car comme en écho au mal qui sévit à Penlocke, la fin du monde se prépare aussi sur Terre, avec la crue des eaux qui se fait de plus en plus menaçante.
Ce qui frappe le plus à la lecture de L’Ombre pourpre, c’est l’importance que prend la psychologie des personnages. L’auteure développe plus que jamais le caractère de ses héros, qui sont également plus sages et préoccupés par la recherche de leurs origines, de l’amitié et de l’amour: "Oui, ils ont vieilli! Tura Sherman a eu un enfant (Aïa), alors forcément, elle a abandonné son passé de dominatrice. Quant à Mercury, elle finit par trouver l’âme soeur, tandis que d’autres personnages meurent." Seulement, sont-ils vraiment morts? "Ils vivent toujours dans mon imagination", assure l’auteure, qui pense déjà à son quatrième roman.
L’Ombre pourpre
de Natasha Beaulieu
Éd. Alire, 2006, 512 p.