Caroline Montpetit : Funambules
Caroline Montpetit s’intéresse dans son premier livre à divers moments d’équilibre précaire qui ponctuent l’existence humaine.
Au cours de ses visites dans une maison de campagne qu’elle désire acheter, une femme reçoit les confidences de l’actuel propriétaire des lieux, un vieux solitaire dont elle devient sans le savoir l’unique lien avec le monde extérieur. Un homme fait d’étranges rêves qui l’amènent à se questionner sur le passé énigmatique de celle qu’il est sur le point d’épouser, découvrant finalement une vérité pire que ce à quoi il s’attendait. Et pendant qu’une autre femme est hantée par un amour d’autrefois durant la cérémonie de son propre mariage, une touriste est mise au courant de la promiscuité malsaine liant les habitants d’une île où elle passe ses vacances…
Première incursion dans le domaine littéraire de Caroline Montpetit, Tomber du ciel rassemble des nouvelles marquées par les motifs concomitants de la mémoire et de l’oubli, ainsi que par toutes ces visites qui jalonnent l’existence, celles que l’on espère, que l’on reçoit ou que l’on rend, sans oublier les voyages, qui ont l’art de modifier notre perception de l’univers. À l’image de la vie, faite de liaisons, de ruptures, de secrets dévoilés, les 11 tableaux raffinés que nous propose la journaliste du Devoir s’attachent à certains moments de passage au cours desquels se manifeste une transition – parfois tragique – entre l’ignorance et le savoir, l’illusion et la révélation.
Figures icariennes, les personnages de Tomber du ciel se tiennent tous en équilibre sur un fil qui menace de se rompre, qu’ils soient en attente de se marier, de divorcer, de signer un contrat ou de profiter d’une libération conditionnelle. Prouvant l’aphorisme de Flaubert qui prétendait que le bonheur n’est qu’un accord entre le tempérament et les circonstances, ils jouissent de l’harmonie passagère que leur procure une situation qui laisse aussi présager l’écroulement. C’est ainsi qu’une femme tente désespérément de tomber enceinte durant ses derniers mois de fécondité, "comptant les jours qui voient fondre sa réserve d’ovules" (Postérité), tandis qu’une autre, souffrant de la maladie d’Alzheimer, profite des quelques instants de lucidité qui lui restent avant de sombrer dans l’absence la plus complète (Requiem). Ailleurs, l’auteure rend compte de la grisante expérience d’un homme atteint par le démon du jeu, décrivant cet instant précis où, juste avant de perdre tout son argent, il est certain que la victoire mettra fin à son destin ingrat de travailleur (La Route du ciel). Dans tous ces cas, l’être humain se trouve dans une situation de fragilité et d’anxiété, sur "la marge ténue qui sépare les gens heureux des gens perdus".
À une époque où la mise en marché racoleuse de certains éditeurs est axée sur les visages de plus en plus jeunes de leurs nouvelles plumes, le livre de Caroline Montpetit apparaît comme un événement extrêmement rafraîchissant. Voici une auteure qui n’aurait eu aucune difficulté à publier quoi que ce soit depuis au moins 10 ans et qui a choisi d’avoir atteint une certaine maturité avant de se commettre. L’écriture que l’on découvre ici surpasse donc les attentes, faisant preuve de la justesse et de la souplesse nécessaires à l’art difficile de la nouvelle. D’où, sans doute, cette impression en lisant Tomber du ciel de ne pas avoir affaire à une première oeuvre. Parions que l’écrivaine cache dans ses cartons les prémices d’un roman qu’il nous sera bientôt permis de lire.
Tomber du ciel
de Caroline Montpetit
Éd. du Boréal
2006, 128 p.