Dominique Kopp : Le poids du monde
Dominique Kopp nous propose L’ordre des choses, un premier roman sombre et exigeant où la condition humaine se conjugue au malheur ordinaire.
Avec deux ouvrages pour la jeunesse à son actif (Le kimono blanc, 2004, et Demain il fera beau, 2005, parus aux éditions Gauthier-Languereau), Dominique Kopp est la première auteure française à être publiée par la précieuse maison d’édition Les Allusifs. C’est tout ce que l’on sait sur l’écrivaine. Ou presque. Car si on se fie à cette première incursion dans le territoire romanesque, on peut affirmer sans hésiter que l’on a ici affaire à une voix assurée, une vision subtile et implacable de la fragilité des êtres. Au terme de la soixante-huitième et dernière page du roman, on le referme en ayant l’impression d’en avoir lu le triple tant la qualité d’évocation de la prose, sa poésie, sa mesure, nous enveloppe de son ampleur.
Dans la vallée du Rhône, Raymond vit seul avec la Mère sur la ferme familiale. Raymond, dans la quarantaine, vieux garçon gauche et incapable de s’adapter au progrès agricole, alcoolique du ressentiment plongeant dans le vin pour fuir sa propre lâcheté vis-à-vis de la Mère, incapable de tenir tête à cette marâtre castratrice dont les silences lui répètent sans cesse "[…] par ta faute la famille va s’éteindre, les vignes de ton père iront à la friche ou seront rachetées par plus entreprenant, plus ambitieux que toi, et ce n’est pas dans l’ordre des choses."
Le vignoble peut bien sombrer dans le néant, son rêve à lui tient bon: même lourdaud et sans charme, il désire encore prendre femme. Main-d’oeuvre non négligeable, lui assurant de surcroît une descendance, une épouse rétablirait presque entièrement l’ordre des choses. Suite à un reportage télé sur une marieuse professionnelle, il décide de solliciter les services d’une agence matrimoniale. Il achète son épouse.
Très tôt à l’aube et encore bourré, il attend le car, la "livraison" de son étrangère, exilée de l’Europe de l’Est. La transaction effectuée, elle descend du car suivie d’un très jeune garçon. Un intrus. "Une femme, il attendait une femme." Furieux comme si on l’avait floué, il se ravise, comme grimaçant : "Il s’est dit je l’ai payée, elle est à moi. Alors il les a ramenés."
Ileana et Mihaï, propriétés privées. La femme est pour Raymond un trophée de défiance qu’il exhibe devant la Mère les premiers temps, lui hurlant: "je vais l’épouser". Le petit, pleurant toutes les nuits, renferme pour sa part une douleur qui détraque ses agissements, le rendant semblable à un animal sauvage. Nouvelle vie, nouvelle épreuve. Raymond boit de plus en plus, excédé par cette femme dont le silence le renvoie à son nouvel échec. Il l’abandonnera, dans sa propre maison, comme un jouet brisé. Et on apprendra juste assez du passé d’Ileana pour comprendre que, même en fuite, certains êtres ne bougent pas d’un iota. Ils restent dans la nuit.
Matérielle, musicale, judicieuse dans sa construction, l’écriture de Dominique Kopp parvient à situer ce récit d’âmes errantes dans une sorte d’apesanteur. L’humanité et la tendresse secrètes qui s’en dégagent confirment une oeuvre habitée, une signature.
L’ordre des choses
de Dominique Kopp
Éd. Les Allusifs, 2006, 68 p.