Jacques Marchand : Moi et l'autre
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Jacques Marchand : Moi et l’autre

Jacques Marchand nous propose Un petit gros au bal des taciturnes, un récit intimiste et ciselé interrogeant ce qui nous lie à la famille, au passé et à soi.

Deux fois finaliste pour le Prix du Gouverneur général (Le Premier Mouvement, 1987; Les Vents dominants, 1999), Jacques Marchand revient après sept ans d’absence avec un roman redessinant à sa manière les contours de l’autofiction. Ses précédents ouvrages nous avaient déjà habitués à cette écriture fascinée par l’altérité presque absolue qui définit le rapport d’un être avec ses proches immédiats. Avec Un petit gros au bal des taciturnes, il se mobilise de nouveau autour de la figure du frère, centrale dans Le Premier Mouvement.

Si un voyage aux États-Unis supportait le déploiement de l’intrigue dans ce premier roman, on pourrait dire qu’un quasi-huis clos exacerbe les tensions, les émotions de celui-ci. Ce qui n’empêche pas le voyage, au contraire. Car ici, c’est à un exigeant périple intérieur que l’on prend part, une errance au fil de laquelle l’enfance, le présent et la nature humaine sont reconduits à leur essence première: des équations à plusieurs inconnues.

La vie rangée de Jacques, le narrateur, un écrivain solitaire, se voit secouée jusque dans ses fondations par l’arrivée impromptue de Léo, son frère aîné, terrassé par des déboires financiers et amoureux. Jacques entretient une complicité avec le silence, les livres et la frugalité dans son modeste logement de Longueuil. Léo s’avère un carnassier de la finance obèse porté sur la bouteille, les femmes et la démesure. Il débarque donc une nuit dans cette "rue de pauvres" avec son fatras de secours, incluant entre autres valises, alcool fort et Merlin, un bouledogue anglais dont les yeux, pleins de douceur, distillent "une expression mélancolique d’un magnat de la haute finance ou d’un homme politique revenu de tout".

Léo restera dix semaines. Deux mois et demi pendant lesquels il glande devant la télé la nuit et écluse sa robine. Le nouveau misanthrope fouille aussi dans les livres de son frère et recopie des passages d’auteurs "enragés" dans un cahier: Shakespeare, Cioran, Nietzsche et Schopenhauer passent à la moulinette. Chose inattendue de la part de Léo. Mais on peut s’attendre à tout d’un homme qui, sous des airs de "despote fatigué" et tragicomique, refoule "une grosse mamma au coeur d’or". Pendant ce temps, Jacques l’observe, prend des notes et navigue dans ses souvenirs (certains bouleversants), son enfance, son adolescence, qui remontent en lui comme des marées. Bien que tacite, l’affection entre les deux frères est palpable. Lorsqu’il quitte, flairant la fortune quelque part, il confie au cadet, la gorge serrée, qu’il est le seul à le connaître vraiment. Ce qui laisse Jacques songeur.

Finesse, limpidité, lucidité: désigner l’écriture de Jacques Marchand serait impensable sans avoir recours à ces mots chargés de lumière et de labeur. Mais en définitive, disons seulement qu’à partir des démons, des éclaircies et des rires d’une intimité qu’il transfigure, l’auteur parvient à prendre le pouls de la condition humaine, comme s’il veillait posément, amoureusement, à ses côtés.

Un petit gros au bal des taciturnes
de Jacques Marchand
Éd. Fides, 2006, 216 p.

Un petit gros au bal des taciturnes
Un petit gros au bal des taciturnes
Jacques Marchand