Osamu Tezuka : Vignettes nippones
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Osamu Tezuka : Vignettes nippones

L’oeuvre d’Osamu Tezuka, le plus inventif et prolifique des bédéistes japonais, nous est enfin donnée à lire grâce à la déferlante actuelle de mangas traduits en français.

Ils sont maintenant partout, se lisent de plus en plus souvent de droite à gauche et représentent une véritable manne pour les éditeurs… de même qu’un territoire vierge à explorer pour d’assoiffés lecteurs. Alors qu’il y a quelques années à peine, les mangas importés en Occident se limitaient à un petit nombre de séries pour enfants et adolescents (Dragon Ball et consorts…), un nombre croissant d’oeuvres pour adultes, jeunes et moins jeunes, trouvent maintenant leur place sur les rayons des librairies. Et il y en a pour tous les goûts: des thrillers de Naoki Urasawa (Monster, Twentieth Century Boy) aux tragédies insolites de Kazuo Umezu (L’École emportée), en passant par la science-fiction stylisée de Taiyou Matsumoto (Number 5) et par les récits intimistes de Jirô Taniguchi (Quartier lointain, Journal de mon père).

Précurseur et inspirateur de tous ces mangakas, Osamu Tezuka (1928-1989) a régné sur le monde de la BD et de l’animé japonais de l’après-guerre aux années 80. Nos lecteurs nés avant 1970 se souviennent peut-être des tout premiers dessins animés japonais à avoir envahi les ondes québécoises et qui étaient tous adaptés de ses oeuvres de papier: Prince Saphir, Le Roi Léo, Phénix l’oiseau de feu… Véritable phénomène dont l’influence se compare à celle d’Hergé en Europe et de Walt Disney en Amérique, l’oeuvre de Tezuka s’en distingue toutefois par la multiplicité des registres empruntés durant sa carrière. En fait, Tezuka ferait plutôt penser au cinéaste Stanley Kubrick par son insatiable curiosité qui l’a poussé à explorer tous les genres: mangas de science-fiction, mythologiques, historiques, psychologiques…

L’impressionnante biographie en bande dessinée (et en quatre volumes) éditée par Casterman retrace non seulement la vie de celui que ses compatriotes considéraient comme le "dieu du manga", mais aussi le développement de cet art populaire, qui apparaît comme un véritable success story à la japonaise. La bande dessinée ayant pratiquement disparu du Japon durant la Seconde Guerre, Tezuka contribua à la refonder sur de nouvelles bases, lui fournissant ses modèles pour les générations à venir: son idéal mélancolique, sa violence froide, ses univers post-apocalyptiques, sa juxtaposition de dessins réalistes et humoristiques, sans oublier les grands yeux humides de ses héroïnes, inspirées par les actrices de Takarazuka qu’affectionnait Tezuka et auxquelles on peut encore prédire un bel avenir.

Signé par les studios Tezuka, le livre trace un portrait sans doute trop flatteur du "maître", qui tend à évacuer sa vie personnelle (sa femme et ses enfants n’apparaissent que dans de rares cases) et à en gommer les facettes plus noires. Le lecteur en retire donc surtout une vision riche de l’univers du manga, de son importance dans l’identité japonaise mais aussi de ses supports éditoriaux et de sa vitesse de production sans commune mesure avec celle de la bande dessinée occidentale. Plusieurs épisodes humoristiques font sourire, souvent en lien avec la productivité légendaire de l’auteur qui travaillait jour et nuit pour mener plusieurs séries de front. On le voit ainsi rivaliser d’imagination pour échapper à ses éditeurs qui font le pied de grue dans son salon en buvant le thé servi par sa mère, sans laisser voir leur impatience de ne pas avoir reçu leurs planches, conservant leur politesse et leur servile respect des hiérarchies. Après tout, restons japonais…

UN ÉCLECTISME DIVERTISSANT

Cette biographie du père d’Astro Boy devrait servir de tremplin à ceux qui veulent s’y retrouver dans l’immense jungle que représente son oeuvre (une centaine de séries déclinées en quelques 600 albums), dont la meilleure partie est actuellement en cours de traduction en français (chez Soleil, Asuka, Delcourt, Glénat, Casterman…). Aux Éditions Tonkam, où l’on se consacre davantage aux "gekigas", ces mangas narratifs pour adultes de Tezuka (MW, L’Arbre au soleil, L’Histoire des 3 Adolf), un titre se démarque, La Vie de Bouddha qui, avec ses 3000 pages au total, reste la série la plus volumineuse et l’une des plus appréciées du vivant de l’auteur.

On y suit la quête spirituelle de Siddhârta, prince du royaume de Kapilavastu, de son refus d’accepter l’idée de la mort durant son enfance dorée à son fameux "éveil" sous l’arbre de la forêt d’Uruvéla. Partant de la division en castes de la société indienne que dénonce le héros tout autant qu’il questionne les austérités en vase clos enseignées par les brahmanes – préférant se pencher sur la maladie, la pauvreté, la discrimination dont souffrent les hommes dans la réalité -, Tezuka livre son message humaniste, en appelant à une société plus ouverte aux contacts, aux échanges et au métissage. Loin de proposer une image d’Épinal de la figure fondatrice du bouddhisme, Tezuka nous offre un palpitant voyage initiatique à la mise en scène inventive, rendant accessible un sujet mystique par une panoplie de procédés.

C’est ainsi que, tout en mélangeant la tragédie, la comédie et le fantastique dans les péripéties vécues par Siddhârta qui a abandonné son royaume, sa femme et son fils pour pratiquer les ascétismes des brahmanes, Tezuka insère des anachronismes et multiplie les personnages secondaires – marginaux ou marginalisés pour la plupart – dont les aventures sont racontées en parallèle, augmentant la dimension humaine du livre. Parfois pris au piège de son éclectisme, l’auteur crée par exemple le personnage un peu trop charismatique de Tatta, jeune paria vagabond et équivalent épicurien de Siddhârta, sur la route duquel il se retrouve régulièrement et dont la séduisante recherche de volupté s’oppose à un stoïcisme qui demeure pour lui un sujet d’incompréhension. Mais dans cet univers quelque peu stéréotypé et partagé entre le bien et le mal, les forces contraires parviennent heureusement à se réconcilier. C’est la magie du manga!

Osamu Tezuka – Biographie, 4 volumes
de Tezuka Productions
Éd. Casterman, coll. "Écritures"
2004-2006, 780 p.

La Vie de Bouddha, 8 volumes
d’Osamu Tezuka
Éd. Tonkam
2004-2006, 3000 p.

Biographie, 4 volumes / La Vie de Bouddha, 8 volumes
Biographie, 4 volumes / La Vie de Bouddha, 8 volumes
Osamu Tezuka