Douglas Coupland : La folie en 4
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Douglas Coupland : La folie en 4

Douglas Coupland se plagie parfois lui-même, ce qu’évitent rarement les icônes. Or, son plus récent titre paru en français nous rappelle, 300 pages durant, toute sa maestria.

Douglas Coupland

ne se tourne pas les pouces. L’auteur canadien, catapulté vers le succès avec son premier livre Génération X (1991) – on lui doit d’ailleurs l’expression – et dont l’un des hauts faits littéraires est sans conteste Girlfriend dans le coma (2004 pour la traduction française), a en effet mené à terme, avec Hey, Nostradamus!, un bien ambitieux projet. Alors que vient de paraître JPod, dont la traduction ne devrait pas trop tarder, retour sur cet étonnant roman, paru plus tôt cette année.

Il s’agit d’un concert. À quatre voix. Chacune jette un éclairage sur des faits communs, dont le principal et plus tragique est la tuerie qui ébranle un lycée de Vancouver, en 1988, tuerie fictive mais inspirée de celle de Columbine. La première des voix est celle de Cheryl, une ado intelligente et vive mais tourmentée, membre de Jeunes et Vivants!, un groupe de jeunes ultra-catho dont elle devient le mouton noir parce qu’elle aurait fait la "chose" avec Jason, un autre membre. Cheryl est aussi l’une des élèves qui, un matin, vont se faire abattre par trois gamins qui ont pété les plombs.

La voix suivante est celle de Jason. Héros pour les uns, lui qui a neutralisé les agresseurs et tué leur leader; paria pour les autres, ceux qui ont acheté cette rumeur surréaliste selon laquelle il aurait fait partie du complot. Son propre père, Reg, un fou de religion qui se croit investi d’une mission divine, le condamnera quant à lui pour s’être montré aussi violent, faisant fi des circonstances. Le mariage de Reg éclatera dans la seconde, en même temps que son genou fracassé d’un coup de lampe par sa femme, et Jason ne se remettra jamais tout à fait d’avoir perdu le même jour et sa Cheryl et le peu de sollicitude paternelle à laquelle il était en droit de s’attendre.

Après le drame, la vie de Jason est une longue errance, rythmée par la consommation de narcotiques et les petits boulots. Il y aura bien Heather, cette fille tellement compréhensive et avec laquelle s’installe une complicité immédiate, mais encore là son coeur éprouvé connaît trop de ratés pour aimer vraiment. C’est d’ailleurs par la voix de Heather, voix brisée, que tout un pan de l’histoire sera conté, avant que Reg ne prenne le relais pour un dernier chapitre beau à pleurer, plein des remords d’un être qui n’a pas su aimer les siens, qui les a d’ailleurs perdus un à un, mais plein aussi d’une lucidité tardive, plein d’une poésie noire et rédemptrice.

Au fil des chapitres, les morceaux du casse-tête s’emboîtent, pas tout à fait comme on l’aurait cru, laissant voir une infinité de drames personnels, d’espoirs cassés, de saisons de grâce; un panorama finalement très large, symptomatique d’une société entière et où les débordements de la foi, de l’amour ou de l’orgueil font basculer des vies dans le chaos.

On pourra reprocher quelques longueurs à Hey, Nostradamus!, on pourra trouver que, décidément, ça faisait beaucoup de destins à tracer puis entrecroiser, n’en demeure pas moins un livre éloquent, un tableau décliné dans plusieurs registres – chapeau d’ailleurs à Maryvonne Ssossé pour sa traduction qui rend bien tout ça -, de ceux qui nous laissent avec l’impression de savoir lire un peu mieux notre temps et ses dérives.

Hey, Nostradamus!
de Douglas Coupland
Éd. Au diable vauvert
2006, 298 p.