Hubert Mingarelli : Histoires d’eau
Hubert Mingarelli peint avec sobriété l’ambiance, les silences et les gestes de la vie en mer dans un premier recueil de nouvelles: Océan Pacifique.
Engagé dans la marine à l’âge de 17 ans, à une époque où la France procédait à de controversés essais nucléaires dans le Pacifique, Hubert Mingarelli a conservé les précieuses images et sensations qui façonnaient le quotidien de tous ces jeunes matelots sans expérience qui, comme lui, se retrouvaient soudainement à mille lieues de leur foyer. Dans ce microcosme fermé qu’abrite le navire, la discipline militaire n’autorise que quelques moments de liberté, généralement durant la nuit ou entre les quarts de garde: une cigarette lentement grillée, une partie de cartes ou de pêche, un sommeil gêné par la proximité des autres, les souvenirs minutieusement entretenus de la vie d’avant…
Les trois récits d’Océan Pacifique, consacrés à l’existence solitaire ainsi qu’aux relations tour à tour conflictuelles et amicales entre les marins, sont dépourvus de toute indication spatiotemporelle. Leur action pourrait se dérouler dans n’importe quel lieu et à n’importe quelle époque, n’eussent été le titre de la première nouvelle (qui est aussi celui du recueil) et cet immense champignon atomique apparu sur la ligne d’horizon et observé par un équipage pétrifié, subitement ému par la gravité et l’horreur de sa mission. Spectacle de l’indicible qui deviendra un véritable sujet tabou à bord du bateau, jusqu’à ce que le narrateur tente de le violer et se heurte au mutisme de son meilleur ami.
Dans Giovanni, la nouvelle suivante, un jeune matelot devient involontairement le maître du chien laissé à bord par l’occupant précédent de sa couchette, héritant d’un rôle inattendu sur un vaisseau où l’animal sert en quelque sorte de confident et d’objet de consolation. Et c’est aussi pour se consoler qu’un jeune homme qui vient de signer son engagement dans la marine monte sur le toit de sa maison dans Bateau sous la neige, souhaitant être aperçu au loin par son père qui rentre de travailler, s’imprégnant, à la toute veille de son départ pour le lointain océan, du panorama formé par les vallées, les forêts et les rivières qui ont abrité son enfance.
À la façon de ses Quatre soldats (prix Médicis 2003), autre récit du temps de guerre, Hubert Mingarelli brosse le tableau d’un environnement exclusivement masculin, aux émotions contenues. Dans la vie ordonnée du navire naissent des rituels, des règles implicites, une promiscuité et une hiérarchie qui n’est pas seulement due au grade que l’on porte et qui requiert une part de boucs émissaires. Un univers non imperméable à la peur, avec son lot de regards angoissés et de défaillances physiques, mais que l’on se retient d’exprimer à haute voix par souci de dignité. Mingarelli évite par ailleurs dans son texte les formules littéraires audacieuses mais creuses, s’en tenant à l’essentiel de ses personnages sans âge et parfois sans nom qui portent en eux un silence plus important que les mots. Ce faisant, l’écrivain voyageur poursuit l’épure d’un style envoûtant, intimement ajusté à son propos.
Océan Pacifique
d’Hubert Mingarelli
Le Seuil
2006, 182 p.