Jean O’Neil : Le sorcier de l’île
Écrivain éclectique, Jean O’Neil raconte ses pérégrinations dans cet endroit mythique que demeure, contre vents et marées, l’île d’Orléans.
Des tableaux d’Horatio Walker aux bandes dessinées de Jimmy Beaulieu, en passant par les chansons de Félix Leclerc et par la multitude de beaux-livres qui l’ont prise pour sujet, l’île d’Orléans ne cesse d’être célébrée pour ses beautés naturelles, son patrimoine architectural et sa qualité de vie exemplaire. À tel point que lorsqu’un ami lui a suggéré de faire un livre sur elle, Jean O’Neil s’est d’abord scandalisé: tout le monde a déjà écrit sur l’île d’Orléans! "Oui, mais pas Jean O’Neil", aurait répondu l’ami en question. Il n’en fallait pas davantage pour animer cet écrivain atypique, amant d’un coin de pays qu’il n’hésite pas à qualifier tour à tour de "mythe fabuleux" et d’"utopie durable".
Pour O’Neil, comme pour la famille Prémont établie sur l’île dès 1689, il y aura donc l’île d’Orléans d’un côté et… le reste du continent de l’autre. L’auteur n’hésite d’ailleurs pas à préciser que, sur l’île elle-même, cohabitent deux "niveaux de citoyenneté" bien distincts quoique pas toujours avoués. Il y a tout d’abord les "nés-natifs", ces insulaires de la troisième génération, nés sur l’île et dont les parents y sont également nés. Et puis il y a les autres, les "étranges", ceux venus d’ailleurs et qui, de passage sur l’île d’Orléans, s’en sont épris et s’y sont installés, parfois plusieurs décennies auparavant, mais sans jamais perdre leur "marque indélébile" de curieux survenants.
Décliné en une trentaine de récits, suivant le cours des saisons, des six paroisses orléanaises et des personnages rencontrés par O’Neil ces dernières années, Une autre île d’Orléans révèle l’histoire de celle qui comptait parmi les trois premières seigneuries de la Nouvelle-France. Une Histoire qui passe essentiellement ici par les petites histoires, les anecdotes formant cette trame qui a fini par donner une admirable cohésion sociale dont témoignent tour à tour aujourd’hui le fromager, l’agriculteur, le boucher, le pêcheur, interrogés par l’auteur qui vantera dans son texte (avec un lyrisme assumé) la sagesse séculaire, la science infuse des éléments naturels qui s’est "accumulée au fil des siècles et à la barbe de toutes les universités".
Au portrait idyllique auquel O’Neil ne peut s’empêcher de succomber, l’écrivain lucide oppose toutefois une certaine île d’Orléans qui se meurt tranquillement, menacée par le tourisme, le développement sauvage, les motoneiges et les constructions sans goût qui la défigurent peu à peu, détonnant avec les jolies lucarnes néoclassiques du chemin Royal. Et c’est sans compter la volatilisation du patrimoine orléanais, dont une bonne partie est récemment passée aux mains d’Européens et d’Américains. Victime de son succès, l’île doit aussi régulièrement faire face à "l’invasion des barbares", celle des habitants de la région de Québec notamment qui, des cabanes à sucre au printemps à la cueillette des pommes en automne, traversent un pont devenu trop étroit, poussés par un instinct semblable à celui du saumon qui remonte chaque année le cours de sa rivière.
Avec cet ouvrage coloré, poétique et souvent drôle, Jean O’Neil rejoint donc le clan des "sorciers de l’île d’Orléans", de ceux qui – nés-natifs ou étranges – se sont un jour ou l’autre mêlés de vouloir comprendre l’île, de l’interpréter, de la dépeindre, de "jacter" et de "barbouiller sur le sujet".
Une autre île d’Orléans
de Jean O’Neil
Éd. Libre Expression
2006, 238 p.