André Roy : Terre des hommes
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André Roy : Terre des hommes

André Roy nous convie, avec Le Rayon rose, à une lecture éclairée d’un champ de la littérature encore trop souvent occulté: la littérature gaie.

Qu’est-ce qu’un livre gai? La question est nettement plus complexe qu’il n’y paraît. Or, tout en considérant avec minutie tous les enjeux et ambiguïtés qui la sous-tendent, André Roy nous ramène à l’essentiel: "Il ne fait pas de doute pour n’importe quel lecteur qu’un livre gai se préoccupe avant tout de sujets gais, directement ou par le détour."

L’expérience homosexuelle apparaît comme un prisme reflétant une tout autre vision du monde, dense, paradoxale, et si elle doit être prise en charge sans se voir dénaturée ou réduite au rayon témoignage, elle doit devenir le champ d’action d’un style, d’une écriture, d’une langue; en d’autres mots: "Un livre gai doit relever de la littérature ou il n’est rien (…)." Car c’est bien ce que nous fait comprendre Le Rayon rose: si les oeuvres de ce versant de la littérature tirent "leur force et leur énergie" de l’homosexualité, c’est souvent pour la transcender en retour et ce, jusqu’à proposer une approche contrastée, magnifiquement oblique, de la connaissance humaine.

Critique de cinéma et de littérature, figure incontournable du paysage poétique québécois, André Roy propose ici un florilège d’essais publiés sur une période de dix ans dans des revues et journaux, fortement remaniés dans le sens d’une cohérence d’ensemble qui, au fil de la lecture, s’avère indéniable. Cinquante textes brefs ou de plus longue haleine explorant romans, recueils de nouvelles ou de poèmes d’ici et d’ailleurs, cinquante plongées enthousiastes dans des travaux, parcours et vies d’écrivains ayant, à leur manière, contribué à la richesse du corpus de la littérature gaie (lire "homosexuelle masculine"). Bien qu’il repose moins sur un souci d’exhaustivité que sur un désir de construire un panthéon personnel d’écritures complices ou tenues en affection, Le Rayon rose a entre autres mérites celui de nous faire (re)découvrir des oeuvres fortes, amples et singulières. On circule ainsi à travers la transgression des codes moraux, la passion expansive de la sexualité, le vertige de l’amour, la solitude implacable devant la fatalité du sort, l’ostracisme, la difficulté d’être, la nécessité de l’imaginaire et l’expérience intérieure.

La galerie d’écrivains ici réunis se présente comme un buffet international, aussi faste qu’hétéroclite: Dennis Cooper, Severo Sarduy, John Rechy, Bai Xianyong, Pierre Samson, Constantin Cavafis, Paul Chanel Malenfant, Fernando Vallejo et tant d’autres, sans oublier William S. Burroughs, Hervé Guibert, Pier Paolo Pasolini, Edmund White, Proust, et la Trinité rose du 20e siècle français: Cocteau, Gide et Genet.

Malheureusement, plusieurs scories typographiques gênent la lecture, faisant état d’un travail d’édition un peu relâché (chose étonnante de la part des Herbes rouges). Ce qui, au final, ne porte aucunement ombrage à la prose critique de Roy. Claire et élégante, généreuse et habitée, l’écriture du Rayon rose convainc et séduit. Par la nécessité de son entreprise autant que par la passion qui la porte.

Le Rayon rose
d’André Roy
Éd. Les Herbes rouges, 2006, 248 p.