André Marois : Bleu nuit
André Marois nous offre Du cyan plein les mains, recueil de nouvelles noires alliant meurtres, hémoglobine et humour d’usage. Verres fumés non inclus.
Si vous croisez un fan puriste de littérature policière, il vous balancera sans doute que le polar, c’est du policier, mais sans l’intrigue. Or, ce n’est pas si simple que ça. Les pulp fictions américaines depuis Chandler ont donné le ton, renfermant déjà le germe du polar, c’est-à-dire l’attitude: l’ironie désinvolte, la désillusion, le je-m’en-foutisme aussi fatigué qu’acéré de celui qui n’a rien à perdre. Cette attitude a enfanté un genre, une littérature, intrigue incluse. Au Québec, les écrivains de polars demeurent malheureusement dans l’ombre, médiatiquement parlant. À l’exception, bien sûr, de François Barcelo, et de Benoît Bouthillette ayant frappé un bon coup avec La Trace de l’escargot l’an dernier. Quant à André Marois, après Accidents de parcours et Les effets sont secondaires, il rapplique avec une flopée de 18 nouvelles où la tension reste en suspens, comme une vague odeur de poudre à canon.
Bien qu’il ne soit jamais le même, le personnage central des textes répond toutefois au même profil: antihéros dans la quarantaine, solitaire dans la ville (Montréal, pour ne pas la nommer), un homme "révolté ou désabusé, tendre ou violent", ajoute l’auteur dans sa note de présentation. Les situations dans lesquelles il se retrouve impliqué – parfois malgré lui, par la volonté tordue du destin – s’avèrent peu banales et frôlent souvent l’absurde. Dans Le Vrai du faux, on rencontre Sam, un clochard se transformant en voleur pas très convaincant et pathétique, tandis que dans Il voulait partir, un conquistador compulsif de l’aide internationale se voit freiné dans ses élans naturels de voyageur par l’amour d’une chaude fermière. Alors que notre lonesome cowboy urbain de narrateur s’enlise jusqu’au bout dans sa fascination pour l’activité nocturne de son voisin, et ce jusqu’à revenir chez lui un soir avec le cadavre d’une jeune femme tatouée (En face), il devient ailleurs un tireur d’élite aussi nerveux que maladroit (Le Bruit qui tue), un activiste antiracisme payant le prix de ses contradictions (Mort et Remords), un paranoïaque hanté par la chaleur suspecte de son bol de toilette (Le Bol chaud), un macho alcoolique assouvissant ses pulsions les plus extrêmes (Le Dernier Gars), alors que la nouvelle-titre nous met en présence d’un designer graphique armé et dangereux, sonnant l’heure de la punition pour les responsables du mauvais goût esthétique régnant dans les pubs ambiantes.
D’abord parues sur le site Internet de l’auteur, ces nouvelles à l’ironie bien maîtrisée plairont avant tout au lecteur en quête de divertissement léger. Car derrière cette écriture colorée, on sent le malheureux spectre de l’éphémère et de l’effet facile. Les formulations-"chocs" et les jeux de mots sont souvent bancals, lassants, et trahissent les réflexes du publicitaire affamé de séduction immédiate sous le vernis littéraire (l’auteur est concepteur publicitaire). N’en demeure pas moins un petit bouquin distrayant et accessible pour qui veut se frotter au genre noir.
Du cyan plein les mains
d’André Marois
Éd. La courte échelle, 2006, 200 p.