Hélène Robitaille : Spasmes de vivre
Hélène Robitaille nous propose avec Les Cigales en hiver un premier recueil de nouvelles mélancolique mettant en lumière la fragilité du vivant.
Sur la couverture de l’ouvrage, un détail d’une peinture de Clara Grouazel. On y voit deux énormes oeufs bien droits et immobiles dans la pénombre, dont le premier, à l’avant-plan, est délicatement fissuré. De cette faille émerge une mince tige feuillue, une pousse timide. Symbole de vie souterraine et de renouveau dans l’ombre, de silence fécond.
À part La Laitière de Vermeer dont il est question dans le recueil, on ne pouvait trouver meilleure illustration pour accompagner et représenter le projet d’Hélène Robitaille. Sept nouvelles soumises à la force centrifuge de l’intériorité et au vertige imparable des sentiments. On pourrait ainsi dire que les textes de l’auteure mettent moins en scène des personnages que des expériences. Car même s’il y a dialogues et actions parfois, l’essentiel des récits tient, dans la plupart des cas, au monologue intérieur concentré sur les chocs, remous et autres effets immédiats provoqués par les aléas de l’existence.
Le recueil s’amorce avec Les Bras de mon père, où la narratrice, une fillette de neuf ans vivant seule avec son père défait, silencieux et alcoolique, se lie d’amitié avec Daniel, ami de ce dernier et voisin de palier, figure salvatrice allant devenir l’objet d’une lancinante attirance du coeur. "(…) j’offre souvent mon corps à un homme déchu dans quelque coin secret de la ville", lit-on dans Mon aveugle, et cette fois-ci, toujours par compassion, ce sera justement à un loqueteux privé de ses yeux, rencontré sur un banc de parc. La compassion, l’empathie: une force motrice indéniable de cette écriture en quête d’un idéal de bonté sauvage. Cet élan d’amour vers les âmes et les corps guettés par la fatalité est plus que manifeste dans le travail d’Hélène Robitaille: un jeune prêtre veille l’ancien curé dont il est le remplaçant, un homme foudroyé par le sort (Veille); une femme accompagne son "étrange amie" sur le chemin de mort de sa mère (Mon Acadienne); un vieillard repense à sa vie et va s’écrouler devant la mer (Un enfant qui s’en va); une morte affirme son amour indéfectible pour sa compagne (Mes funérailles); une fille évoque avec émotion le suicide de sa mère (Les Seins de ma mère).
À cela s’ajoute un besoin de célébrer la sensualité du corps "atypique", exclu par les canons contemporains de la beauté, celui des ronds et des vieux, hommes et femmes, le besoin de prendre en charge et de bercer les vies en marge de la grande parade des triomphants, les perdants non magnifiques, les brebis fatiguées.
Magnifique entreprise toutefois constellée de pièges dans lesquels s’empêtre l’auteure. Car le lyrisme parfois suranné de la prose trahit une recherche d’effet où misérabilisme, sanglots et violons – le recueil est un saule pleureur – nous font désirer la puissance d’évocation de la retenue. À cela s’ajoutent répétitions, surexplications et inconstances de ton. Dommage. Quelques fines trouvailles poétiques scintillent dans le lot. Une poignée de diamants solitaires incrustés dans la mine des lamentations.
Les Cigales en hiver
d’Hélène Robitaille
Éd. L’instant même, 2006, 128 p.