Elena Botchorichvili : Good bye Lénine!
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Elena Botchorichvili : Good bye Lénine!

La Montréalaise Elena Botchorichvili signe une troisième chronique de sa Géorgie natale, consacrée cette fois à un univers intime et féminin: Faïna.

Sa poitrine s’étant récemment épanouie, la jeune Faïna comprend qu’il est temps pour elle de se marier. Après tout, elle a 16 ans, l’âge auquel les femmes de sa famille ont pris l’habitude de joindre leur destinée à celle d’un homme. Aux funérailles de son grand-oncle Andro, on est d’ailleurs venu de toute la région de Koutaïssi afin de l’admirer, elle, ses seins et sa légendaire beauté. Les demandes en mariage affluent donc durant les années suivantes et, à chacune de ces occasions, un repas est préparé par la grand-mère et par la mère de Faïna. C’est "le temps des libations" même si, à l’épicerie de la place Lénine, le grand seau de caviar a disparu de la vitrine et qu’il n’y a plus moyen de se procurer de mets délicats. Durant ces festins, les prétendants qui défilent se voient diplomatiquement rejetés les uns après les autres, en un étrange et pathétique ballet, jusqu’à ce que la pauvre Faïna, un beau jour, n’arrive plus à enfiler sa robe de mariée. En pleine perestroïka, le pays est alors en décomposition et la jeune fille, comme tant d’autres, songe à émigrer…

Après deux premiers romans, Le Tiroir aux papillons et Opéra, qui peignaient la société géorgienne d’avant la débâcle soviétique à travers les yeux de personnages masculins, Elena Botchorichvili s’attache maintenant au point de vue des femmes et à un triste principe de filiation mère-fille où l’essentiel de l’existence (le mariage, la sexualité) se transmet dans le silence. Après tout, "les mots, c’est quoi? Du vent!" Faïna, qui aimerait savoir ce qui se passe entre les époux après la noce, une fois les convives partis, est loin d’être entourée de modèles épanouis sur ce plan. Sa grand-mère Noutsa fut durant deux mois seulement la femme d’un prince géorgien, fusillé durant la révolution, tandis que sa mère Oliko, mariée à un médecin amputé de guerre, aide ce dernier à pratiquer des avortements sur la table de la cuisine familiale, sorte de "réponse à un gouvernement qui ne fait rien", la pénurie de préservatifs n’ayant d’égale dans le pays que celle des aiguilles à coudre.

L’univers disparu de Faïna, texte bien tourné qui se situe entre la novella et le roman, n’a apparemment pas fini d’habiter les esprits de ceux qui en sont issus, marqués à jamais par le contexte dictatorial qui pesait sur eux, parfois jusque dans le domaine de l’intime. Procédant par touches subtiles, avec ses remarques spirituelles sur l’ère pré-Gorbatchev (durant laquelle "les dirigeants changeaient, mais pas la vie"), Botchorichvili se meut confortablement dans cet espace-temps où une certaine liberté ne parvenait à s’exercer que dans des petits riens de la vie privée. Toutefois, à l’image de la statue au bras levé de Lénine, la Géorgie de l’écrivaine montréalaise reste en quelque sorte figée dans une pose solennelle, celle de sa misère et de ses malheurs passés.

Faïna
d’Elena Botchorichvili
Trad. du russe par Carole Noël
Éditions du Boréal
2006, 108 p.

Faïna
Faïna
Elena Botchorichvili