La Balade des tordus : Toute la laideur du monde
Avec La Balade des tordus, Michel Châteauneuf quitte les paysages immaculés de La Quête de Perce-Neige, son roman jeunesse publié en 2005, pour plonger dans les marécages de l’âme humaine. Il en découle une oeuvre-choc amorale. Puritains s’abstenir!
Michel Châteauneuf, avec son blouson en cuir noir, ses verres fumés opaques et sa chevelure en bataille, tranche avec l’image stéréotypée de l’écrivain bohème. Après un long échange avec l’auteur, on comprend vite que ce look de bum n’a pas été créé de toutes pièces. Anticonformiste dans l’âme, l’homme a toujours fait partie de ces gens dont les propos, mus par une incroyable lucidité, choquent. Adolescent, il s’était fait montrer la porte du Séminaire Saint-Joseph pour avoir publié un journal pamphlétaire. En lançant La Balade des tordus, il demeure fidèle à sa nature de provocateur. Il s’attend d’ailleurs à heurter de chastes lecteurs avec sa plume acerbe, mais il ne pouvait se convaincre de mettre au rancard cette fiction sur laquelle il bossait depuis huit ans.
L’enseignant en littérature au Collège Laflèche ne fait pas dans la dentelle avec La Balade des tordus. Il faut avoir les reins solides pour sauter dans l’obscurité de ce polar, et ce, dès le départ, car Châteauneuf frappe à grands coups de poing dans les tabous. Le roman s’ouvre en effet sur une scène des plus dérangeantes, celle de l’inspecteur Saint-Jean qui se masturbe sous le jet de la douche en pensant à ses voyages sexuels avec de jeunes garçons. Puis, au lieu de tendre vers la lumière, le récit continue de s’enfoncer dans les ténèbres. "Pour faire un résumé succinct de l’oeuvre, disons que c’est une exploration sans concession des tréfonds les plus marécageux de l’inconscient collectif québécois actuel. C’est une visite guidée dans l’underground québécois. Et les guides en question sont les Hells Angels, une naine infanticide, un enquêteur pédophile", explique l’écrivain de Trois-Rivières. En une seule intrigue, il a réuni les personnages les plus ignominieux possible, tous liés par une histoire de meurtres en série.
Loin de puiser dans son côté obscur, Châteauneuf s’est plutôt inspiré de l’actualité pour l’écriture de son bouquin. "Je pars tout le temps d’une atmosphère. J’ouvre une fenêtre et je hume l’air du temps. Évidemment, cet air du temps est alimenté par l’actualité. Ces temps-ci, il déferle une espèce de vague de perversion et de déviance." On peut penser à la guerre des gangs et à l’affaire Cloutier ou Hilton.
Michel Châteauneuf a essuyé plusieurs refus avant de recevoir une réponse positive de la Veuve noire, éditrice. S’ils craignaient la réaction du public, la majorité des éditeurs reconnaissaient tout de même son talent. L’écrivain, un véritable orfèvre, avoue d’ailleurs être très fier de la qualité littéraire de son oeuvre. Au fait, quel a été le principal défi de La Balade des tordus? "Le principal défi de ce roman-là, ça a été de le terminer. J’ai eu des périodes de découragement pendant ce processus-là. Ça a été long. Je pense que j’ai passé un an, un moment donné, sans lui toucher. C’est quand même un univers qui est marécageux, et c’est assez particulier quand ça nous habite. Je suis allé très loin dans la psychanalyse de mes personnages; je les ai fait rêver. À quoi ça rêve un pédophile? À quoi ça rêve un psychopathe? Il y a tout un exercice d’analyse de pathologies qui n’est pas nécessairement reposant." Heureusement, son humour noir lui a servi d’échappatoire.
La Balade des Tordus
de Michel Châteauneuf
La Veuve noire, éditrice, coll. Le Treize noir, 2006, 218 p.