Marie-Sissi Labrèche : Le jeu de la vérité
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Marie-Sissi Labrèche : Le jeu de la vérité

Marie-Sissi Labrèche nous présente La Lune dans un HLM, un titre qui se joue des appellations.

Son mémoire de maîtrise, réalisé sous la direction du professeur et écrivain André Carpentier, portait sur "l’autofiction, l’autobiographie et la fiction dans le roman, ainsi que la fusion des trois". Or, avoue-t-elle, l’autofiction l’intéressait davantage. "En fait, je suis arrivée avec l’idée de m’utiliser comme personnage, ce qui n’était pas courant à l’époque (on parle du milieu des années 90) et qui me fascinait en tant que jeune étudiante. Mais aujourd’hui, je me contrefiche bien d’être l’héroïne d’un roman!"

Au moment où l’étudiante, qui avait déjà publié de courts textes et participé à des concours (et en avait gagné quelques-uns!), s’apprêtait à explorer davantage ce concept, Marie-Sissi Labrèche ne savait pas encore qu’un courant similaire débutait en France (avec Christine Angot s’imposant comme chef de file) et ici, où seul Maxime-Olivier Moutier semblait épouser ouvertement le genre. Mais elle s’y est investie à fond, au point d’ailleurs d’en faire non seulement un sujet de mémoire, mais ensuite une ligne directrice pour ses trois romans publiés jusqu’à maintenant.

Consciente d’avoir elle-même animé ce genre de débat, la romancière (on écrit tout de même "roman" sur ses livres!) confesse être apaisée par mes questions qui portent essentiellement sur l’aspect formel de son écriture. "Là, je suis vraiment lasse de ces discussions autour de l’autofiction, car moi, au départ, je ne voulais que m’amuser avec l’idée de me prendre comme personnage." D’ailleurs, son dernier roman, en plus de secouer le genre de l’autofiction en alternant une histoire qu’on pourrait qualifier de fiction autobiographique et des lettres d’autofiction, nous prouve que toutes ces appellations importent peu, car nous sommes en présence d’une écriture littéraire qui se défend toute seule, contamination de la réalité ou non. "Qu’importe la direction que je me suis fixée, je demeure toujours ouverte à l’écriture qui peut m’amener beaucoup plus loin que les concepts de l’autofiction ou autre", nous dit l’auteure qui pense néanmoins se diriger vers l’autobiographie, cette fois, pour son prochain livre qu’elle n’a pas commencé, mais dont elle a déjà trouvé le titre.

Avec La Lune dans un HLM, on sent plus que jamais dans son oeuvre cette disponibilité à l’écriture, qui parfois est guidée par une rythmique enlevante, très rapide, proposant une cascade d’images qui nous aspirent à leur tour. Il s’agit d’une sorte de réalisme brut qui permet par contre tous les écarts d’imagination. Les personnages, tous un peu fêlés ou simplement prêts à détonner au quart de tour, se plient merveilleusement à cette écriture des plus libres. Ils sont sans censure, à l’image de l’écriture qui s’offre à nous. "Je me censure moi-même très peu", ajoute Labrèche qui, bien que nerveuse, semble avoir appris à tirer profit de cette vérité, cette intégrité qui émane d’elle. Car chez elle comme dans son écriture, rien ne donne l’impression d’être fabriqué ou construit. Dans son travail formel, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle sait garder le nerf du premier jet, ce qui fait que le texte sonne juste. Sa recette? "J’ai décidé d’écrire où ça fait mal", laisse-t-elle tomber, sans préciser combien cela peu coûter en énergie sur le papier, en réécriture, ou encore en pansement dans la vie. On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs.

La romancière, qui considère ce livre comme la fin d’une trilogie qui a été longue et difficile à porter, mais avec laquelle elle est aujourd’hui en paix, poursuit: "Afin de me dissocier du genre érotique, auquel j’ai souvent, à tort, été associée, j’ai décidé pour celui-ci d’éviter de parler de sexualité. Ensuite, pour m’éloigner de l’autofiction également, je me suis dit que j’écrirais une fiction, et j’ai commencé l’histoire de Léa et de sa mère. Mais après coup, j’ai compris qu’il manquait quelque chose, et j’ai ajouté les lettres de l’écrivaine à sa mère, qui entrecoupent la fiction qui est aussi très proche de mon histoire personnelle."

Il s’agit d’une histoire qui ne raconte en fait que la relation entre une fille qui tente de se réaliser et sa mère qui exige beaucoup d’attention. C’est l’écriture, encore une fois, qui l’a poussée à se mettre en scène. Elle ne cherche pas le fait exact, mais ce qu’elle connaît lui sert de balises. À l’instar de la mère de Léa, sa mère "a réellement été inscrite aux Impatients", un organisme qui aide les gens connaissant des problèmes d’ordre psychiatrique à s’exprimer par les arts, fondation qu’elle a soutenue par le biais de collaborations littéraires ou de conférences.

Marie-Sissi Labrèche a les pieds bien ancrés dans la réalité, réalité qu’elle ose questionner brillamment par une écriture littéraire.

La Lune dans un HLM
de Marie-Sissi Labrèche
Éd. du Boréal, 2006, 256 p.

La Lune dans un HLM
La Lune dans un HLM
Marie-Sissi Labrèche