Charles Bolduc : Contes de la folie ordinaire
Charles Bolduc plante les dents dans le paysage littéraire avec un premier recueil de nouvelles où se côtoient une indiscutable maîtrise du style et le courage de dire l’inavouable. Haut les coeurs, v’là la vie.
Une fille passe devant la fenêtre du café Babylone, rue Saint-Vallier. L’été s’accroche, mi-septembre, la blonde en t-shirt noir et jupe de denim s’arrête le temps de laisser au minuscule chien qu’elle promène le loisir de renifler la base d’un lampadaire.
Toujours immergé dans l’univers de l’auteur Charles Bolduc, on songe qu’elle pourrait très bien être une de ces filles peuplant les nouvelles qui constituent son premier recueil, Les perruches sont cuites. Des filles qui aiment mal ou qui sont mal aimées, des beautés ordinaires que la passion transforme en ténébreuses déesses, quand ce n’est pas l’imagination qui les tire vers l’univers du fantasme halluciné.
Puis, la blonde disparaît au coin de la rue, et avec, nos rêveries.
Bolduc, qui vit à quelques encablures du lieu de rendez-vous, arrive dans la seconde qui suit. Attablé, le corps tendu vers l’avant, il attend les questions avec l’avidité du débutant.
Dès le départ, c’est la forme qui s’impose dans la discussion. Afin de briser la glace en abordant autre chose que la matière parfois sulfureuse avec laquelle il sculpte ses récits à saveur d’autofiction, mais aussi parce qu’il importe de souligner que dans chacune des nouvelles de ce recueil qui distillent la terreur de certains moments d’ennui et la force d’inertie d’une trop grande lucidité, l’écriture révèle un désir de perfection dans la simplicité, un souci d’orfèvre dans le choix des mots sans toutefois laisser sentir le travail que cela recèle.
Et pourtant… "Une journée devant l’ordinateur, pour moi, ça donne environ une demi-page, révèle Bolduc. C’est pire que Jacques Poulin (rires)! Sans blague, l’idée, c’est d’en arriver à l’extrême économie de mots, de moyens, de trouver la phrase la plus efficace. Dans la plupart des romans que je lis, qui circulent, il y a souvent cette propension à écrire beaucoup, à faire un gros roman qui va bien se vendre. Moi, l’idée, c’était de faire un bon livre. Je cherchais, si tu veux, à dénuder l’expression."
LA PASSION DES TEMPS MORTS
Dans le souffle haletant de cette langue qui déboule, s’arrête, puis s’étire un moment pour mieux repartir en trombes, Bolduc s’avère non seulement un habile technicien, mais on le surprend aussi à disséquer, mordre, déchirer puis rabouter des moments de vie avec la même célérité qu’il emploie pour triturer la séquence des mots.
Des moments de bonheur, il révèle ce fugace vertige qui survient lorsqu’on songe qu’ils ne sont qu’illusion ou qu’ils seront inéluctablement remplacés par la douleur, le manque. De même, enfoncé dans le plus noir des cynismes, il parvient à extraire quelques échantillons de beauté. Et toujours, ce doute: si la vraie vie était ailleurs que dans le moment présent? "Je prends ce doute-là comme une nécessité dans l’existence. Du moins, ce l’est pour mon narrateur, même si c’est sûr qu’il y a beaucoup d’authenticité dans tout cela. Pour vivre quelque chose de vrai, il faut ce doute-là, inhérent à l’amour, aux expériences humaines en général."
Mais au fil des textes qui composent Les perruches sont cuites, on comprend que ces réflexions viennent simplement peupler les temps morts de l’existence du narrateur et des autres personnages. Des photographies dévoilant des êtres en suspens, dans le moment qui précède ou qui suit "l’action", et qui font le véritable charme de ces nouvelles dont le propos peut parfois sembler féroce, mais qui traduit en réalité, et avec véracité, la force de frappe du désespoir ordinaire. "À côté de ce que montrent les médias, ou le cinéma, il y a ces moments-là, ces choses-là qui existent, la poésie des choses mortes, des choses insignifiantes, explique l’auteur. Je me suis amusé, et ça doit paraître, à plonger dans l’impertinence, dans l’insignifiance, à aller vers quelque chose qui n’a pas de bon sens parfois. (…) L’idée, c’était de prendre l’infiniment banal et d’aller chercher l’extraordinaire pour les superposer. C’est comme ça que tu aboutis avec l’image d’une fille attachée au lavabo, puis un truc complètement banal après ça pour créer une espèce de vide, une ouverture fracassante."
MORCEAUX DE COURAGE
Ponctué d’oniriques clichés d’objets – vélos, parapluies -, puis de moments d’une certaine légèreté qui permettent au lecteur de respirer entre deux bouffées d’air vicié, le premier-né de Charles Bolduc est composé de véritables morceaux de courage. Des révélations de désirs inavouables – et pourtant communs -, des fantasmes collectifs – voir la savoureuse nouvelle intitulée Isabelle Blais – et autres envies de meurtre, de fugue, de cruauté.
En cela, l’auteur s’inscrit dans cette volonté de faire de la littérature un objet de subversion, une manière de révéler l’inavouable part d’ombre que recèle l’humain. Rien pour se réjouir, ou se divertir, mais un regard honnête, et parfois presque attendri sur nos névroses, notre folie ordinaire. "Ces envies dont tu parles, ces fantasmes, sont des pulsions que l’on a, mais qu’on n’assume pas. Il fallait que je me jette dans le feu, il fallait aller toujours un peu trop loin, soit dans la part de réalité et de fiction, comme pour Isabelle Blais, ou juste aller là où on ne va pas habituellement. Il fallait mettre le doigt sur les choses qui font mal."
Les perruches sont cuites
de Charles Bolduc
Éd. Leméac, 2006, 120 p.