Hervé Bouchard : Les mots du frisson ludique
Hervé Bouchard remporte cette année le Prix du roman au Salon du livre du Saguenay – Lac-Saint-Jean avec Parents et amis sont invités à y assister. Ouvrir l’un de ses livres, c’est palper le plaisir du texte, découvrir comment l’écriture naît à la frontière du jeu.
Qu’est-ce que la littérature? Qu’est-ce qui vaut la peine d’être écrit et d’être lu? Voilà des questions qui doivent être posées à Hervé Bouchard. Parce qu’il semble avoir saisi, et peut-être à corps défendant, l’essence même de ce qui fait l’imprescriptibilité de la création littéraire. Et si c’était, justement, d’essayer de ne pas se restreindre à la perpétuation des grands classiques? Et s’il fallait rompre avec les genres et les styles, les accumulations de mots précieux et les abus de figures de style?
Devant son clavier, Hervé Bouchard impose sa loi: son univers textuel se traduit par une vision du monde singulière. La phrase et sa syntaxe sont uniques. Rien n’appartient à l’impossible. Les marges frissonnent, et le sens s’emballe. "Et, dans un vertige, il prenait conscience de ça, du fait que dire est infini et perce le temps, que les paroles sont plus rapides que les nombres, qui sont vides, et qu’en général on vit comme des sourds, ne sachant rien de ce qu’on fait. Toujours avancer, toujours descendre, toujours s’avancer en virant, en s’enlisant, dans le labyrinthe neuf et noir et sans aucune impasse. Il sentait les paroles le traverser et l’assujettir, elles lui paraissaient creuses en plus, de plus en plus, il aurait voulu qu’elles cessent, il était dans leur flot, pris dans leur flot, il était leur flot." Comment résister à ce déversement d’images neuves et de perte de contrôle? Alors que tous se battent au quotidien pour offrir un sens à leur existence, l’oeuvre d’Hervé Bouchard fracture les cadres du "politiquement correct". Et si le pouvoir de la littérature résidait dans l’abandon à quelque chose de plus grand, dans ce plongeon vers l’indicible?
Grâce au personnage de Jacques Mailloux, on comprend mieux combien les balises moralistes de la pensée moderne peuvent s’écrouler sous l’effet d’une absence de perspectives. Dans son premier livre, l’enfance envahit les pages, et les événements se succèdent sur le même niveau: jeux, amitiés, naissances, morts, incestes, etc. L’effet intrinsèque à cette approche s’avère d’une intensité redoutable: faut-il rire aux éclats, se mettre en colère ou pleurer? L’impartialité de ce qui est raconté bouscule notre conception identitaire. Pourquoi? Parce que Jacques Mailloux, c’est cet enfant né au Québec qui joue dans les coulées. C’est un flot qui déambule dans les rues de Jonquière, dans la musique de leur nom. Il s’agit de cet être soumis à la mentalité et aux habitudes de chez nous: il grandit dans notre merde et dans notre lumière.
Dans Parents et amis sont invités à y assister, un drame bat son plein dans un chaos indescriptible: le père qui meurt, la mère qui se retrouve en maison de repos, les garçons qui sont sous la garde de leurs tantes. La structure du récit, même si on présente le livre comme un roman, s’organise de manière particulière. Le tout prend la forme d’un "drame en quatre tableaux avec six récits au centre". Peu de repères subsistent dans ce texte exigeant: les lignes dansent au gré d’une hystérie horriblement triste mais combien captivante. Les symboles perdent ici leur fixité. Le livre s’adresse ainsi à des lecteurs actifs. Il faut entrer dans le jeu ou se résigner à perdre la partie.
Lors de la 42e édition du Salon du livre du Saguenay – Lac-Saint-Jean, Hervé Bouchard sera présent pour vous présenter son travail. Si vous ne pouvez pas saisir l’occasion, une séance de lecture des textes de l’auteur se tiendra le jeudi 2 novembre, à 12h30, aux Bouquinistes. Organisé par le groupe Ad litteram de l’UQAC, l’événement sera animé par Jean-Pierre Vidal, professeur émérite et écrivain. Pour plus d’informations, téléphonez au 545-5011, poste 2418.
Parents et amis sont invités à y assister
d’Hervé Bouchard
Éd. Le Quartanier, 2006, 237 p.