Louis-Bernard Robitaille : Confession d’un libertin
Louis-Bernard Robitaille est un des chouchous de la rentrée parisienne avec Long Beach, divertissement littéraire au sens américain du terme.
L’erreur capitale d’Anthony Terreblanche restera de ne pas avoir écouté le conseil avisé d’un collègue à son arrivée dans le petit campus de la côte Est où il occupait le poste d’écrivain en résidence. La mise en garde était pourtant claire: se méfier des "feminine studies", cet écosystème où sévissent de redoutables harpies qui font et défont les carrières, tirant les ficelles dans l’ombre. Ignorant tout des moeurs universitaires américaines et rejetant ce qu’il considérait comme une plaisanterie, le romancier s’est plutôt permis de profiter de la sinécure que lui offrait son statut de célébrité, de se la couler douce pendant quelques années tout en se livrant, en toute impunité, à ses instincts de libertin.
Amoureux des femmes, amateur de bondage à ses heures et planifiant même – en bon disciple d’Épicure – de mettre fin à ses jours quand les plaisirs terrestres lui seront refusés, le héros de Louis-Bernard Robitaille est tout (traître, menteur, honteusement cultivé…) sauf pédophile. Ainsi, lorsque du matériel pornographique impliquant des enfants est retrouvé sur son ordinateur au cours d’une descente policière, l’écrivain se perd en conjectures sur les auteurs de cette mauvaise blague: confrères ou consoeurs frustrés, amoureuse trahie, féministes liguées contre ce pur produit de la décadence européenne? L’enquête se révélera de plus en plus compliquée tandis que, devant la déchéance mondaine de Terreblanche, s’épaissit le clan de ses lyncheurs: une collègue invente une ancienne tentative de viol, une étudiante affirme qu’il l’obligeait à téléphoner à sa mère pendant qu’il abusait d’elle, etc.
Partant d’une intrigue à la Philip Roth, Robitaille a imaginé de retirer son personnage du panier de crabes pour l’envoyer en exil durant les longs mois d’attente précédant sa comparution devant la loi. Le lieu de cette étrange quarantaine: une demeure prêtée par un collègue compatissant à Long Beach, station balnéaire décrépite du Maine qu’habite une faune de mafieux, de vacanciers vulgaires et de losers ayant autrefois investi dans l’immobilier de ce secteur où "le taux de chômage est à seize pour cent lorsque tout va bien". L’élégant et hautain Terreblanche, que l’on aurait cru incapable de supporter une telle fin de carrière, accepte néanmoins de s’intégrer à la pathétique communauté. Se recyclant en écrivain public chaque après-midi à la table d’un café, il se met au service des analphabètes du coin en manque de green cards, rédigeant pour eux lettres officielles et attestations trafiquées de domicile ou de travail.
Délicieusement cynique face au monde universitaire, parfois méchant (Hélène Cixous, notamment, en prend pour son rhume), étalant une culture hétéroclite qui frise (volontairement?) l’insupportable, le quatrième roman de Robitaille évite de sombrer dans une banale histoire de rédemption. Car même s’il est innocent du crime qu’on lui attribue, Terreblanche se sent vaguement coupable de ce qui lui arrive, croyant avoir "mérité ces ennemis tapis dans l’ombre" et ne s’attendant pas vraiment à être délivré de sa triste situation. La "confession" qu’il livre au jeune inspecteur chargé de son cas et qui sert de cadre narratif au récit contient d’ailleurs l’aveu d’une brillante imposture – qui n’est pas celle que l’on croit. La chute, magistrale, viendra quant à elle nous rappeler que nous sommes bel et bien dans l’univers du roman où tout n’est, finalement, qu’une question de point de vue.
Long Beach
de Louis-Bernard Robitaille
Éd. Denoël, 2006, 351 p.
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