Myriam Beaudoin : West side story
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Myriam Beaudoin : West side story

Myriam Beaudoin signe Hadassa, une deuxième oeuvre nous entraînant avec sensibilité dans l’univers parallèle de nos voisins d’Outremont: les juifs hassidiques.

Nous sommes en septembre, c’est le premier jour de classe. Vous êtes engagée pour enseigner le français dans une institution pour jeunes filles juives orthodoxes. Vous inscrivez votre nom au tableau, puis, parce que vous ne savez "encore rien sur rien", vous leur demandez de raconter leurs vacances. Chacune se lève, se nomme, précise son âge et s’exécute. À la suite du récit de Chaya Weber, presque douze ans, revenue de Val-Morin où elle s’est baignée – "mais pas avec les garçons, non, madame, il y a des heures pour les boys" -, Nechama Frank, douze ans et demi, se lève brusquement: "Toi, madame, tu te baignes avec les garçons?"

Le ton est donné. Alice, Madame Alice, la narratrice, deviendra petit à petit leur rayon de soleil mystérieux. La petite "classe au fond lilas" est le temple de toutes les curiosités, de tous les secrets, là où, entre une leçon de français, de mathématique, de géographie ou d’histoire (Alice devra s’improviser enseignante multi-matières), les écolières se risquent à révéler, dans un franglais parsemé de yiddish, "les secrets des juifs", des informations et détails sur leur vie quotidienne et leurs traditions. C’est ainsi qu’à l’instar d’Alice, digne, réservée, mais toujours friande de ces révélations, nous pénétrons pas à pas, un peu plus à chaque page, dans cette complexe et fascinante micro-société, ses fêtes, ses coutumes, ses multiples interdits, sa symbolique, son extrême pudeur et, surtout, l’humanité des gens qui la composent.

Et au centre de tout ça, il y a cette petite étoile brouillonne, boudeuse, mélancolique, timide, secouée de "moodswings", comme autant de bourrasques: il y a Hadassa, une élève feignant souvent la maladie pour rentrer chez elle, dessinant avec deux ou trois crayons dans sa main, répondant "c’est une statue, madame" en réponse à la question "Que veut dire le mot LIBERTÉ?". Hadassa, la préférée d’Alice, sans véritable amie, qui ne cesse de parler de la "french teacher" à la maison, qui l’a clairement "in her heart". Et nous aussi, on ne peut faire autrement que de se prendre d’affection pour cette Alice, douce, patiente, ainsi que pour cette petite solitude de onze ans et des poussières de qui on se rapprochera au fil du récit.

Parallèle à la nouvelle vie de la narratrice, qui s’échafaude de découvertes en émois, bourgeonne une histoire d’amour clandestine, illégitime. Celle de Jan, un pianiste polonais installé dans le Mile End depuis peu, maintenant épicier à la Boutique, et de Déborah, jeune juive hassidique mariée. Premier contact dans l’épicerie, un jeu de regards: "(…) tout persiste dans l’instant des yeux qui se contemplent"; on assiste alors à "la naissance de deux insomnies". Pour une juive, parler à un goyim, un non-juif, ou même le regarder, est un profond péché. Mais voilà, même si cela est "(…) instinctif, inconcevable, pire que tout", cette chose appelée désir, faute de mieux, ne pourra que se déployer, à sa manière, tailler une brèche presque invisible dans cette frontière séparant l’est de l’ouest, deux êtres soumis au vertige du visage, de la voix, de la présence de l’autre.

D’abord remarquée avec raison par la critique avec un récit publié en 2003 chez Triptyque, Un petit bruit sec, Myriam Beaudoin consolide et confirme ici sa manière, une prose incarnée, aussi sobre que généreuse. Sans jamais tomber dans le piège du manichéisme ou du jugement de valeur, elle nous offre une écriture toute en demi-teintes reposant sur la suggestion, l’ellipse, plutôt que sur la recherche appuyée de l’effet. En définitive, un roman de haute teneur, habile, fluide et bouleversant qui, à travers ce double parcours initiatique au coeur de la judaïté, nous remet en contact avec la matière brute des sentiments et la dignité sans nom d’être autre. Derech erets!

Hadassa
de Myriam Beaudoin
Éd. Leméac, 2006, 197 p.

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Hadassa
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Myriam Beaudoin