Yann Francis : Kaboul mon amour
Yann Francis nous sert avec L’OEuf guerrier un roman touffu de sensations et de révélations. Où sommes-nous? En Afghanistan, pays du grand méchant loup.
Vous en conviendrez, l’actualité bonbon des dernières années a réussi à réduire la plupart des pays du Moyen-Orient à de vastes champs d’opium, des puits de pétrole et des cavernes grouillantes de terroristes à kalachnikovs. Mais si on vous disait qu’être là, à Kaboul, marmite socio-politico-culturelle, ce n’était pas tout à fait ça; qu’on pouvait être là, simplement, heureux d’être humain, y croiriez-vous?
En refermant le premier roman de Yann Francis, vous répondriez probablement par l’affirmative. Car l’ouvrage a quelque chose d’une ode à la différence, à la part lumineuse et respirable du vivant. Mais attention, jamais on ne tombe dans la morale à ailes d’ange, le positivisme aveugle, jamais on ne ressent chez l’auteur le désir de magnifier la réalité immédiate. Non. À l’instar du narrateur, on se trouve dans Kaboul parmi les "odeurs de montagne, de chèvre, de sang et de gaz d’échappement", au beau milieu d’un univers où règnent "le choeur des moteurs, la complainte des klaxons, les bêlements, les braiments et les meuglements, le cantique des vendeurs, la sérénade des mendiants, les carillons pendus au pare-chocs des camions."
On suit donc ce "Canayen de la Main", dans la jeune trentaine, à des milles et des milles de son "Québekistan" natal, installé en sol afghan avec son amoureuse, sa "rousse", sa "Clo", une journaliste radio donnant des ateliers de perfectionnement dans différents centres d’information du pays. Mais lui, quelle est la nature de sa présence là-bas, qu’est-il venu faire? C’est là le plus beau de l’affaire: rien. "Je suis le premier Occidental du nouveau millénaire atterri à Kaboul pour n’y rien faire, (…), absolument rien." Un "rien" qui, somme toute, est bien relatif. Un "rien" que l’on doit comprendre comme une forme d’ouverture face au hasard. Conséquemment, le roman ne repose pas sur une trame, une intrigue définie. Il se construit et se déploie plutôt au fil des rencontres et des aventures qu’engendrent celles-ci. Ainsi, une généreuse galerie de personnages attend le lecteur, qui retrouvera Salman Ali (chauffeur hilare qui "aime tout le monde, semble-t-il, à la folie"), Ferouzi, Jesus et Ming (un couple d’Australiens), les journalistes Parwîn, Laïli, Zoubaïda, Malalaï et le magnifique Khalil, qui rêve de marier une femme sachant sourire. On se trouve également happé dans un tourbillon de noms étrangers, de courses en taxi, de poussière, d’amour, d’amitié, d’épisodes et d’escapades respirant la plus tonique des libertés (voyage ferroviaire en Inde, séance de Top-Danda, le base-ball afghan, au sommet des koh, les montagnes qui surplombent la capitale).
On sent chez Yann Francis un authentique amoureux du réel et du langage. Cette affection parcourt L’OEuf guerrier, lui insufflant une énergie et un rythme qui font mouche. Les phrases sont taillées avec soin, les dialogues crédibles, le ton d’une solide constance. Une oeuvre plus que probante, nous ramenant secrètement à l’essentiel: "Nous sommes tous en vie, Dieu est grand".
L’OEuf guerrier. Aventures kaboulies
de Yann Francis
Éd. Marchand de feuilles, 2006, 312 p.
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