Andrée A. Michaud : Faire des vagues
Avec Mirror Lake, Andrée A. Michaud retourne aux contrées sauvages, mais explore un nouveau ton: celui de l’humour. Rencontre avec l’auteure.
Un quinquagénaire, Robert Moreau, tentant de fuir son quotidien et de renouer avec la nature, décide de camper ses pénates au bord d’un lac qui semble un havre de paix. Avec quelques bouteilles en réserve et pour unique compagnon son chien, Moreau devrait pouvoir descendre calmement en lui-même sans le regard des autres. Mais voilà que son introspection est ébranlée par le surgissement de personnages aussi loufoques que dérangeants: arrivera-t-il à se faire face et à se rencontrer lui-même?
"Je me suis mise à écrire ce livre suite à l’abandon d’un autre projet qui, finalement, m’ennuyait", confie Andrée A. Michaud, qui poursuit en précisant que le projet en question se situait dans un univers urbain. "Puisque je dois passer beaucoup de temps dans l’univers de chacun de mes romans, peut-être ai-je besoin de situer mes histoires dans des endroits qui me plaisent."
Elle situe donc l’histoire de ce nouveau roman dans le Maine, dans un endroit aussi sauvage que propice au mystère, ce qui n’est pas sans rappeler les lieux du Pendu de Trempes, son roman précédent, aussi raconté par un narrateur masculin. "Je prends souvent des hommes pour narrateurs. Ça me semble plus facile, car j’ai l’impression que ça empêche une identification trop grande avec le personnage." Et encore une fois, non seulement nous retrouvons-nous dans un secteur reclus, mais les personnages errent dans une espèce de brouillard, proches des limbes, entre deux eaux, entre deux personnalités et entre deux langues. Avec ces personnages, on ne sait pas vraiment à qui on a affaire…
Est-ce que l’écrivaine est condamnée elle aussi à un purgatoire où elle se chercherait indéfiniment? "C’est que je ne sais peut-être pas non plus qui je suis", avance-t-elle, ajoutant que ce roman, au ton grinçant, est charnière. Si ce dernier, qui s’ouvre sur une citation de Walden ou La vie dans les bois de Henry David Thoreau, évoque plusieurs titres d’auteurs américains, il rappelle surtout un roman québécois pourtant très différent. Quand on lui parle de La nuit de Jacques Ferron, roman dans lequel un personnage pénètre dans l’étrangeté grâce à un appel nocturne d’un anglophone inconnu, Michaud, qui n’a aucun souvenir précis du livre, affirme que Mirror Lake parle de dualité comme il parle d’identité, et nous sommes américains même si nous ne sommes pas états-uniens, notre culture populaire nous le rappelle d’ailleurs constamment."
Les digressions ou parenthèses sur la musique, la littérature ou même la télévision sont abondantes dans le roman, mais c’est surtout le style comme le domaine du rêve et les portes ouvertes sur le fantastique qui permettent à Michaud de laisser aller l’écrivaine où bon lui semble, et de nous happer dans sa spirale de mots. "Je n’ai pas vraiment de plans, c’est l’écriture et les personnages qui me guident", avoue Michaud qui sait pourtant où elle s’en va; "entre autres, j’avais plusieurs scénarios possibles pour la fin."
Mais cette grande liberté de style qu’elle s’accorde lui permet peut-être de dresser une écriture qui la dépasse et révèle au lectorat non seulement un monde, mais un langage et un regard extrêmement singulier qui est pourtant le résultat d’une culture commune. "Je suis consciente que mes livres sont assez différents des romans québécois en général, mais paradoxalement, c’est vrai qu’ils participent activement à cette culture." Le roman de Michaud a beau parler de William Irish (ou de Cornell Woolrich), de Victor Morgan et d’oeuvrer dans une ambiance proche des romans de Stephen King, elle convoque aussi la célèbre grenouille (Yolande) de Marc Labrèche et montre un regard aiguisé, typiquement québécois. Il suffit de voir comment Robert Moreau appréhende l’arrivée de son nouveau voisin pour reconnaître une partie de nous-mêmes. "J’aime tous mes personnages, j’aime les voir évoluer, même ceux qui se révèlent être un parfait cauchemar", dit en riant celle qui signe, pour la première fois, un roman que l’on pourrait qualifier de drôle, du moins de grinçant, et qui s’éloigne de son univers sombre habituel. Tous les éléments de la signature de Michaud y sont rassemblés, seulement, ce ton différent permet d’ouvrir une autre porte à l’oeuvre polysémique. En fait, avec Mirror Lake, Andrée A. Michaud ne devrait pas décevoir son lectorat, mais bien l’élargir.
Mirror Lake
d’Andrée A. Michaud
Éd. Québec Amérique, 2006, 335 p.
CV
Née en 1957 et ayant grandi dans un village près des lignes américaines, Andrée A. Michaud, qui vit depuis peu à Montréal, a publié depuis 1987 sept livres littéraires. Si tous ses ouvrages ont été salués par la critique et ont joui d’un bouche-à-oreille des plus favorables, c’est son roman Le ravissement (L’instant même, 2001) qui a attiré le plus l’attention des différents jurys en lui méritant le Prix du Gouverneur général, le Prix des collégiennes et des collégiens du Collège de Sherbrooke, et en se taillant une place parmi les finalistes de quatre autres prix importants. Avec Portraits d’après modèles (Leméac, 1991), elle fut finaliste au Grand Prix de la Ville de Montréal, et son précédent roman, Le pendu de Trempes (Québec Amérique, 2004) a été finaliste à trois prix.
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