Claude Beausoleil : Venir au monde
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Claude Beausoleil : Venir au monde

Claude Beausoleil plonge ses mains dans le passé avec Alma, histoire de dire l’enfance, la solitude, la famille et la découverte de soi. Devoir de mémoire.

Avec plus d’une soixantaine de recueils poétiques (!), des essais, des anthologies et deux romans à son actif, on peut affirmer sans grand risque que Claude Beausoleil souffre d’un cas avancé de boulimie créatrice. Aussi membre de l’Académie Mallarmé, il s’avère l’un des plus convaincants défenseurs de la littérature et de la poésie québécoises, ici comme ailleurs. L’année dernière, il publiait sa seconde oeuvre de fiction, Architecte des sentiments, roman obsédant et fort bien accueilli par la critique, nous entraînant dans l’expérience toute en dédales d’un traducteur dont la vie bascule par à-coups dans la fiction lorsque surgissent dans son quotidien des signes étranges renvoyant directement à celui qu’il est en train de traduire: le poète, philosophe et architecte Netzahualcóyotl (1402-1472), figure charnière de l’Ancien Mexique. Après un ouvrage de cet ordre, lové autour d’une passion de l’histoire et de la langue, foré d’ellipses touffues et de soupiraux narratifs complexes, rien n’annonçait le détour intimiste, autofictionnel, qu’opère l’auteur avec Alma, un récit composé de chapitres très brefs, comme autant de pièces détachées, fragments d’un discours amoureux, épuré à l’extrême, retraçant la genèse d’une vie qui débuta un 16 novembre 1948, dans le "Saint-Henri-des-Tanneries", au Rita Snack-Bar…

Né dans l’odeur de friture des patates frites, Beausoleil nous dresse un portrait composite d’une époque, d’un quartier et d’une enfance bénie par la présence d’Alma ("âme", en espagnol), la grand-mère, "memère" pour les intimes, venue au monde le même jour que son petit-fils. Scènes, tableaux, souvenirs croqués sur le vif, on circule en ligne brisée à travers cette existence rapiécée à la manière d’une courtepointe écrite. Et puisque la mémoire est un souk, un chaos de la plus belle espèce, c’est dans un refus de toute chronologie, et au présent, que nous sont servis ces vifs instantanés du temps passé.

Bon élève, sérieux amateur de cream soda, nourri aux radio-romans de CKVL Verdun, le garçon se rend tous les samedis, en fin d’après-midi, acheter le déjeuner de sa nouvelle voisine portée sur la bouteille: "deux egg rolls plum sauce et un Seven Up". L’époque des bonbons vendus "à la cenne", de la maison de ferme de la tante Pulchérie, où il se cachera, par solitude, dans une niche de chien. Plus tard, sa première machine à écrire, "une Smith-Corona" achetée par Alma, l’époque du professeur Hubert Aquin, du professeur d’art Jacques Hurtubise, d’une adolescence marquée par la découverte des arts, de Hugo, Nelligan, Michaux, et Paris, d’une liberté ouvrant le monde devant lui, comme une boîte de passions et de possibles.

Jusque dans ses réminiscences alors qu’il est à Paris, Mexico, dans un taxi ou au beau milieu d’un marché, on suit l’auteur pour se dire que ce récit procède d’une nécessité intérieure brute, portée par une prose simple, parlant vrai, sachant nous éveiller au détour, en faisant tinter une cloche: "(…) l’enfance est un art de vivre."

Alma
de Claude Beausoleil
Éd. XYZ, 2006, 120 p.

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