Patrick Brisebois : Mystère de la foi
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Patrick Brisebois : Mystère de la foi

Patrick Brisebois change de registre. Laissant derrière lui l’univers comme le vocabulaire de sa Trilogie sinistre, il marche désormais dans les pas des maîtres de la SF et des cinéastes de l’étrange.

"La plupart du temps, quand des amis qui écrivent me font lire leurs trucs, je trouve que c’est bon, ils construisent bien les dialogues, la structure est bonne, mais il manque quelque chose… Il manque la magie", expose Patrick Brisebois qui, avec son quatrième roman intitulé Catéchèse, prêche par l’exemple.

Dans le comté de Mauvouloir, un décor qui rappelle le Charlevoix où Brisebois s’est exilé pour un temps, les habitants du minuscule village de Sainte-Virginie, et particulièrement la famille Murray, s’apprêtent sans le savoir à vivre un épisode sanglant. Nous sommes, on le devine, au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans un environnement étouffé par la religion et les conventions sociales. Parfait terreau pour faire exploser tabous, sexualité interdite, dans une atmosphère oppressante où plane le drame à venir alors que se succèdent les événements mystérieux, que les cauchemars deviennent réalité…

Bref, on est drôlement loin du Montréal au temps présent où Brisebois traînait le spleen qui lui a servi de matériau pour ses trois premiers romans, et qu’il occulte presque totalement pour dévaler le versant du fantastique qu’il exploitait beaucoup plus timidement dans la conclusion de sa Trilogie sinistre (Chant pour enfants morts).

"Je lis beaucoup d’auteurs américains ces temps-ci, dont Philip K. Dick, j’aime le côté direct de leur style. […] Et je n’avais plus envie de parler de moi, j’avais envie de prendre la voix d’une femme, j’avais l’impression d’avoir fait le tour avec l’autofiction", explique l’auteur.

"Avant d’écrire ce livre, poursuit-il, j’ai écrit pas mal de poésie, que je n’ai pas publiée, et je me suis beaucoup intéressé à Internet. Je me suis amusé à créer des blogues censément tenus par des filles, et j’entretenais un dialogue avec ceux qui y réagissaient. Il y en a une [des blogueuses] qui écrivait de la poésie un peu goth, pas très bonne, et les gars lui donnaient des conseils. Tu devrais faire ci, et ça. Il y a même des auteurs connus – que je ne nommerai pas – qui voulaient la rencontrer. Je me suis un peu inspiré de ces personnages-là, que j’avais inventés pour les blogues, pour créer ceux du roman", raconte Brisebois en esquissant un discret sourire de loup avant de reprendre une gorgée de café.

Ironiquement, c’est donc en donnant une nouvelle signification au terme "autofiction" que Brisebois va créer les personnages et donner une direction au propos de Catéchèse, objet étrange, à cheval entre deux genres (les romans du terroir et d’anticipation). Un récit féroce, déroutant, qui cultive ce mystère et cette magie qui lui sont chers, tout en se penchant subtilement sur les dérives technologiques, le mysticisme, la folie et les questions d’identité.

Difficile, cependant, d’évoquer la trame narrative de ce roman en deux actes sans toutefois éventer la surprise, voire le désarroi, provoquée par sa structure ambiguë qui ne fera sans doute pas l’unanimité. "Je sais qu’il y a des gens qui décrochent, c’est pas évident, mais en même temps, je voulais avoir cette coupure-là", affirme-t-il.

Reste alors à parler d’impressions, du sentiment d’incertitude et même d’angoisse que Brisebois cherche à provoquer en se gardant bien de donner les clefs de son intrigue qui, à partir de cette rupture tonale, verse dans une étrangeté qui dépasse le récit, et infecte la narration jusqu’à plonger le lecteur dans un brouillard qui va en s’épaississant, laissant à ce dernier le soin de s’orienter. Parfois à tâtons.

Un flou qui culmine dans la conclusion, digne d’un amalgame de la finale d’un film de David Lynch et de celle d’un roman de Don DeLillo, un dénouement à propos duquel il s’avère impossible d’obtenir des réponses claires de la part de l’auteur. Et pour cause.

"On me demande mon interprétation de la fin: je ne le sais même pas, ou en tout cas, je ne suis pas certain. Je n’avais pas envie d’expliquer les choses, qu’il n’y ait plus de mystère. Je voulais que ça reste imprécis comme ça. La seule chose réelle, qui se tient vraiment, qui est certaine, c’est le lecteur qui tient le livre. Le reste, le récit, tout peut basculer. Tout est possible."

Catéchèse
de Patrick Brisebois
Éd. Alto, 2006, 96 p.