Marc-Alain Wolf : Au nom du fils
L’essayiste Marc-Alain Wolf se lance dans l’univers romanesque avec une grande sensibilité. Rencontre avec l’auteur.
Psychiatre et philosophe, Marc-Alain Wolf a choisi le Kippour comme toile de fond à son premier roman, qui traite autant de la mémoire que de la filiation. Le Kippour, c’est cette fête juive, consacrée au repentir et au jeûne, qui célèbre le jour du Pardon. Très austère et très grave par certains aspects, on y implore le pardon pour les transgressions des commandements du divin.
Pour le théâtre de ce récit, quoi de mieux qu’une célébration dans une synagogue? Le cadre idéal pour développer la thématique de la transmission, ainsi que la problématique de l’identité. Car à l’instar de nombreux juifs non pratiquants, Zaccharias Lemieux, qui n’est pas vraiment juif, décide d’emmener ses enfants à la célébration du Grand Pardon. "Il y a beaucoup de choses dans ce livre, mais ce qui m’a vraiment stimulé, c’est l’histoire centrale d’un homme dans la quarantaine qui veut savoir qui est son père et qui s’interroge beaucoup." Cet homme en quête est directement inspiré d’une histoire entendue dans son entourage, l’autre circonstance qui l’a poussé à écrire le livre étant la mort de son père. "J’ai eu l’impression d’utiliser mon expérience clinique pour les détails techniques, nous dit Marc-Alain Wolf, mais pour l’histoire centrale, j’ai vraiment puisé dans mes souvenirs et dans cet épisode qui m’a beaucoup touché (et avec lequel j’ai voulu toucher les autres)."
Le personnage principal a, comme lui, des enfants qui ne vont pas à l’école juive, et il est chercheur dans le domaine de la démence. "Si j’ai fait beaucoup de psychiatrie, trop peut-être, l’écriture est pour moi un dérivatif." Certains écrivent sur leur métier afin d’approfondir le sujet, mais pour Marc-Alain Wolf, l’écriture de Kippour fut plutôt une échappatoire; le décor est là, mais pour mieux en sortir. Toutes ces anecdotes liées au métier procurent à ce premier roman l’empreinte de la vérité, une évocation bien sentie des comportements humains.
Beaucoup de personnages interagissent dans ce livre où circulent et se confrontent les préjugés, les codes, les convenances et les gestes spontanés, comme ceux issus d’une quête ou d’un besoin, d’une pulsion. La trame narrative est constamment chevauchée par le brouhaha des conversations et des réflexions de tous et chacun. En filigrane: un lieu sacré et des habitudes culturelles bien ancrées. "Au début, j’étais porté par cette histoire que j’ai décidé de placer dans un contexte religieux, et j’avais également comme intention de faire connaître le judaïsme actuel." La famille de Wolf étant très religieuse, parallèlement, l’auteur, qui a donc beaucoup fréquenté les synagogues, trouvait le sujet intéressant et abondant. Connaissant bien le Québec – où il vit depuis de nombreuses années et où la religion est une donnée importante de l’histoire – et fort de son expérience d’immigré (il est né à Strasbourg), le nouvel écrivain disposait de beaucoup de matière pour aborder le sujet. "Ici, au Québec, il y a toute une actualité un peu désagréable sur le judaïsme qui dénote selon moi, sans l’antisémitisme violent que l’on retrouve ailleurs, énormément d’ignorance et de préjugés, un manque de communication de part et d’autre. Je trouvais donc important de montrer comment ça se passe aujourd’hui dans une synagogue."
Kippour, souvent avec humour, révèle beaucoup d’éléments sur la culture juive actuelle, sur les questions et conflits linguistiques qui s’y rattachent, mais il s’agit surtout d’un roman touchant et habile sur la filiation. Si l’univers est éloigné, les procédés littéraires rappellent étrangement Michel Tremblay, qui, lui aussi, sait décrire avec sensibilité l’humain qui cherche à camper son identité au milieu des codes et des différentes cultures.
Kippour
de Marc-Alain Wolf
Éd. Triptyque, 2006, 266 p.