Maurice G. Dantec : Politique intérieure
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Maurice G. Dantec : Politique intérieure

L’écrivain Maurice G. Dantec, polémiste implacable, "prince" du "polar technoïde", du "cyber-polar" et de la "métaphysique-fiction", sera l’un des invités de marque du Salon du Livre de Montréal.

Maurice G. Dantec présentera au Salon du livre son dernier cru littéraire: Grande Jonction. Un roman futuriste déferlant et hallucinant, qui nous plonge dans un univers apocalyptique, où une "post-humanité" exsangue essaie désespérément de survivre, en l’an 2070, dans un Territoire chrétien situé aux confins du Québec et de l’État de New York, "Heavy Metal Valley", convoité par un Antéchrist électronique. Une citadelle assiégée, où il n’y a plus ni lois ni repères. L’enfer à son zénith!

Vos livres et vos prises de position politiques ne cessent de susciter des controverses houleuses. On a l’impression que vous aimez provoquer l’ire de vos contempteurs?

"Nous assistons impavides à une véritable offensive contre le langage. Nous sommes quasiment dans une société post-orwelienne, qui n’a pas besoin de contrôler le langage, elle a juste besoin de le niveler pour qu’il soit complètement inoffensif. Je fais scandale parce que j’emploie à peine quelques gros mots! Ma syntaxe et la manière dont j’emploie les mots font choc, car dans les universités, les écoles de journalisme, et à l’école élémentaire aussi, on apprend à être le plus consensuel et le plus soft possible. Il ne faut surtout pas choquer la personne en face de vous. Et surtout, il ne faut pas choquer le "bon" musulman. Fustigez qui vous voudrez, mais surtout pas l’islam! On nous demande de nous écraser, d’être gentils, gentils!"

Vous critiquez l’islam avec véhémence. Seriez-vous islamophobe?

"Je suis chrétien. Je fais la distinction entre les idées et les personnes. Il y a des musulmans modérés et des musulmans radicaux, voire fanatiques, mais il n’y a qu’un seul islam. Ceux qui, comme le psychanalyste Malek Chebel, affirment qu’il y a d’un côté les islamistes et d’un autre côté l’islam, sont au mieux des imposteurs. Il suffit de lire le Coran. Moi, je m’appuie toujours sur les textes. Si on veut comprendre le marxisme, on lit Marx. Si on veut comprendre le nazisme, on lit Hitler. Si on veut comprendre le fascisme, on lit Mussolini. On est bien d’accord là-dessus? Donc, si on veut comprendre l’islam, on ouvre le Coran. Et, quand on lit le Coran, on comprend qu’il n’y a effectivement aucune différence entre islam et islamisme. L’islamisme, ce n’est que la traduction activiste, "proactive", comme on dit au Québec, de l’islam. Les islamistes disent simplement: "On va appliquer l’islam". C’est tout!"

Vous considérez-vous comme un écrivain engagé politiquement?

"Si j’étais un écrivain engagé, j’aurais un M16, avec, si possible, des lunettes Schmidt & Bender. Je serais en train d’assaisonner des mecs en Irak ou en Afghanistan. C’est ça être engagé! Un écrivain qui se dit engagé, ça m’a toujours fait rigoler. Que ce soit clair! Un type qui s’engage s’engage dans la Marine, dans l’Air Force, à l’armée… et il fait sa job. Un écrivain engagé, c’est un rigolo, un cuistre. Moi, je ne suis pas engagé, je défends politiquement un certain nombre d’idées. Ça n’a rien à voir avec l’engagement. Cependant, si j’écris un roman comme Villa Vortex, dont le récit se déroule dans les banlieues parisiennes, et que je fais l’impasse sur les problèmes de la violence des cités et de l’islamisation de la société française, c’est que je suis un menteur qui ne fait pas sérieusement son boulot d’écrivain. Si vous décidez d’écrire un roman d’amour et que vous ne parlez pas d’amour, eh bien, rentrez chez vous! Par contre, j’aime bien que le monde vienne me secouer. Comme disait Kafka: "Dans la guerre entre toi et le monde, seconde le monde". On n’est pas là pour défendre notre "moi", on est là pour le casser en mille morceaux!"

Dans American Black Box, troisième et dernier volet du Théâtre des Opérations, qui paraîtra en janvier 2007, vous nous livrerez de nouveau vos réflexions sur les questions géopolitiques internationales les plus brûlantes. Comment définiriez-vous le conflit qui oppose aujourd’hui l’Occident à la mouvance islamiste?

"Il n’y a plus aujourd’hui de ligne frontale, nous sommes dans ce que j’appelle "une guerre métalocale", dans laquelle l’ennemi est partout. L’Occident est partout et ses redoutables adversaires, les islamistes, sont aussi partout. L’Occident a réussi sa mondialisation, mais, bizarrement, dans ce processus de globalisation économique et culturelle, il y a aussi la résurgence de l’islam, qui est comme une espèce de fantôme, de spectre, parce que l’islam a aussi une volonté universaliste de domination. Les combattants islamiques sont à l’intérieur de nos civilisations et l’Occident est aussi à l’intérieur de la leur par le biais de l’argent, du high-tech, de la corruption… L’Occident a aussi ses propres armes! Il y a donc un entrelacement qui est d’autant plus dangereux puisqu’on n’est plus dans la configuration classique d’une guerre frontale, où il y a deux ennemis l’un en face de l’autre."

Pour repousser les hordes de barbares qui essaient d’envahir Heavy Metal Valley, les défenseurs de ce Territoire puisent leurs forces et leur imagination dans une imposante bibliothèque, riche de 13 201 ouvrages de théologie, sauvée lors de la chute du Vatican. Est-ce une allégorie du déclin de la littérature en ce début du XXIe siècle, de plus en plus menacée par le monde de l’audiovisuel?

"Ce n’est pas l’audiovisuel qui est en train de détruire la littérature, ce sont les écrivains qui sont aujourd’hui les principaux responsables de la destruction de la littérature. Personnellement, j’en mettrais neuf sur dix au mur! Je vous le dis cash, ok! Je leur reproche de prostituer la littérature, soit sous le règne du "Moi", donc du "Je" narcisse, du "Je, Je" et non pas du "Je, autre", alors que toute littérature est un jeu entre "Je" et l’ "autre", pour faire en sorte surtout que l’ "autre" vous parle et pas l’inverse. Désormais, toute la littérature française contemporaine est un véritable désastre. Il n’y a plus aucun sens du roman, ni de l’épopée. Aujourd’hui, Balzac ne serait plus publié. On lui dirait: "Mais, mon vieux, vous faites du western!" Ce phénomène pernicieux n’est pas mondial, malheureusement, il est très concentré sur la France. C’est pour ça que j’essaye de devenir un écrivain nord-américain de langue française et non un écrivain français exilé au Canada. C’est essentiellement pour cette raison que j’ai écrit Grande Jonction comme un western, avec des grands espaces, en intégrant des typologies du western…"

Grande Jonction est aussi une puissante réflexion sur l’avenir de l’être humain. L’homme se transforme en automate.

"Ici, la machine meurt. L’homme veut devenir un automate. La vision de la machine qui se contenterait d’opprimer l’homme est battue en brèche dans ce roman, y compris par les personnages, qui affirment l’inverse. Le problème, c’est quand l’homme se sépare de ce qu’il y a de machinique aussi en lui. On ne fabriquerait pas des machines si on n’avait pas quelque part de la machine en nous. Qu’est-ce qui se passe quand ce qu’il y a de machinique en nous se met à mourir? Voilà la vraie question. Il n’y a pas un mégaordinateur dans Grande Jonction. C’est l’humanité, le mégaordinateur. Par définition, la "métastructure", c’est l’ensemble du réseau humain qui forme la "métamachine". Donc, c’est l’homme qui veut ressembler de plus en plus à une machine parce qu’il se sent de plus en plus faible par rapport à ses propres productions. Il a bien raison!"

La tradition chrétienne, à laquelle vous êtes foncièrement attaché depuis votre conversion à la foi catholique, n’est-elle pas l’antithèse du monde funeste et incandescent que vous dépeignez dans Grande Jonction?

"Non. Moi, je suis un catholique futuriste. Quand on est chrétien, on ne peut pas être pessimiste. Il y a une grande espérance dans mon roman, aussi ténue que l’espérance qui habite un chrétien. On n’est pas du côté de l’espoir dans des lendemains radieux; il n’y a pas d’espoir spécifique que l’homme en lui-même s’améliore. Oui, il y a des individus qui peuvent devenir un peu plus humains et généreux, mais les sociétés ont toujours été merdiques. Ma seule source d’inspiration morale, intellectuelle et littéraire, c’est la foi. C’est quelque chose qu’on a beaucoup de mal à comprendre, car croire en Dieu aujourd’hui, ça paraît complètement délirant!"

Grande Jonction
de Maurice G. Dantec
Éditions Albin Michel, 2006, 775 p.

C.V.
Né en 1959 à Grenoble dans une famille communiste, Maurice G. Dantec est devenu célèbre en 1993 avec son premier roman, La Sirène rouge. Il est l’auteur de plusieurs romans apocalyptiques et de métaphysique-fiction qui ont connu un grand succès, dont Les Racines du mal, Babylon Babies, Cosmos Incorporated, et d’un "Journal métaphysique et polémique", en trois parties, Le Théâtre des Opérations. Il vit à Montréal depuis 1997.

Grande Jonction
Grande Jonction
Maurice G. Dantec
Albin-Michel