Sophie Létourneau : La petite histoire
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Sophie Létourneau : La petite histoire

Sophie Létourneau réveille, à travers 40 moments réchappés de l’oubli, ces segments de vie qui, l’air de rien, façonnent aussi l’identité.

Deux, trois pages, rarement plus. Bien que leur matériau premier soit la mémoire et sa manière très libre de relire le passé, on pourrait dire des Polaroïds que nous offre Sophie Létourneau qu’ils sont le contraire quasi parfait de l’entreprise proustienne. S’il y a littérature ici, c’est dans l’à-plat, l’entrebâillement, le montré nu. Dans cet écrin minimaliste – le terme n’aurait pas existé qu’on l’aurait ici inventé -, l’auteure née à Lévis en 1980 ressuscite des instants d’enfance, puis d’adolescence, que leur apparente banalité aurait dû condamner à l’effacement complet. Bienvenue au pays des baisers volés, des désirs réprimés, des malaises gravés dans le bois des pupitres.

"Un jour, se souvient l’auteure, en rapatriant mes photos d’enfance à l’occasion d’un déménagement, je me suis rendu compte que nos albums illustraient presque toujours des moments rituels, des anniversaires, des fêtes de Noël, où les gens sourient et tout, et je me suis dit qu’il y avait quand même plein d’autres photos dans nos mémoires, entre celles des albums, qui méritaient qu’on les fasse apparaître." Parmi celles-là, un début de noyade dans une piscine de Varadero, les avances repoussantes d’un garçon dont l’amour pour Sophie n’a d’égal que sa maladresse, la fin de la virginité vécue dans un lit ordinaire avec un gars encore plus ordinaire. "Les moments que je fais apparaître dans ce livre, en fait, sont toujours un peu inconfortables", souligne-t-elle. Puis elle va plus loin: "Les moments joyeux ne sont pas ceux qui nous définissent le mieux, je pense. Ce ne sont pas ceux-là qui font ce qu’on est…"

DIRE VRAI

Les Polaroïds sont donc des morceaux de vie épars, mais en cours de lecture, ils finissent par donner une multitude d’indices sur la personnalité de la narratrice, qui est beaucoup Sophie et un peu autre chose, bien sûr.

À l’ère de l’autofiction, on ne peut s’empêcher de demander à Sophie Létourneau à quel point le véridique sous-tend le recueil… "Je ne heurtais personne, je crois, mais j’ai quand même changé deux ou trois petites choses, quand je le jugeais nécessaire. Certains noms ont été modifiés, d’autres pas. J’y suis allée au cas par cas!" Pas de stratégie élaborée envers la vraie vie, donc, mais une envie manifeste de traquer, de dire le vrai. Qui, en littérature, on le sait bien, n’est pas toujours l’équivalent de la vérité.

"J’essayais par ailleurs d’avoir un ton d’écriture qui soit sans âge, enchaîne-t-elle. Un ton innocent et grave à la fois. Je suis quelqu’un qui peut avoir une écriture très lyrique, emphatique même, mais cette fois je voulais vraiment regarder au ras des choses, ne rien embellir ou enlaidir." Mission accomplie… Celle qui a collaboré, en 2004, à l’écriture d’un livre d’entretiens entre Wajdi Mouawad et André Brassard (Je suis le méchant!, Leméac) signe un premier ouvrage de fiction doucement émouvant, qui sème chez le lecteur l’envie de fréquenter les recoins de son propre passé, et dont le moins qu’on puisse dire est qu’il charme par d’autres voies que celles de l’artifice.

Polaroïds
de Sophie Létourneau
Éd. Québec Amérique
2006, 168 p.

Polaroïds
Polaroïds
Sophie Létourneau
Québec Amérique