Zlata Filipovic : Lettre de Zlata
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Zlata Filipovic : Lettre de Zlata

À 13 ans, Zlata Filipovic publiait un récit qui allait faire le tour du monde, celui de son enfance interrompue par la guerre de Bosnie. Aujourd’hui, avec Paroles d’enfants dans la guerre, elle poursuit là où on l’avait laissée, grâce à d’autres voix venues de l’intérieur des conflits.

En composant le numéro de téléphone irlandais qu’on m’a donné, je suis fébrile. Ce n’est pas tous les jours qu’on interviewe quelqu’un qui vient de sa ville natale, quand cette ville s’appelle Sarajevo. Ni qu’on parle à quelqu’un qui a été marqué par la même guerre, au même âge. Avec Zlata Filipovic, je commence donc évidemment par parler de ce qui nous relie, de Sarajevo. Cette ville qu’elle a quittée le 23 décembre 1993 (elle se souvient de la date exacte) grâce aux autorités françaises, au moment où son Journal était en train d’être imprimé, à des centaines de kilomètres du carnage. Elle se rappelle du tourbillon médiatique qui a suivi lorsqu’elle s’est retrouvée, petite fille, devant les caméras du monde entier avec un sentiment de responsabilité: raconter ce qui arrivait encore dans son pays, pour ceux qui y étaient restés. "J’ai eu une chance incroyable de pouvoir sortir de la ville à ce moment-là et de voir mon journal imprimé, raconte-t-elle. Je voulais utiliser cette occasion qu’on me donnait de parler, parce que ça pouvait être utile pour ceux qui étaient encore là-bas."

Depuis, elle a déménagé avec ses parents en Irlande, fait un bac en sciences humaines à Oxford et une maîtrise en International peace studies à Dublin, tout en étant ponctuellement réinvitée par l’UNESCO et l’UNICEF à témoigner. Impossible pour elle d’oublier. "D’une certaine façon, je raconte la même histoire depuis 13 ans. La guerre nous a tous marqués, mais moi c’était vraiment d’une façon très claire", dit-elle. L’écriture de son journal lui a permis de "prendre conscience de tout ce qui m’était brusquement enlevé. J’ai vu la différence entre ce que j’écrivais avant et après l’arrivée de la guerre, et j’ai compris qu’elle m’avait volé mon enfance. La tragédie, c’est que ça ne m’est pas arrivé qu’à moi, mais à des milliers d’autres enfants."

REDONNER UNE VOIX AUX OUBLIÉS

Il ne faut donc pas s’étonner si Zlata Filipovic pense toujours à ces enfants qui sont les premières victimes des conflits armés, et si elle désire leur donner voix au chapitre dans Paroles d’enfants dans la guerre. "J’ai toujours pensé que c’était un hasard que mon journal ait été choisi pour être imprimé. Il y en avait sans doute beaucoup d’autres, peut-être meilleurs que le mien, que les gens ne liront jamais." À défaut de ceux-là, Zlata Filipovic et Melanie Challenger ont voulu en faire sortir d’autres de l’oubli. Des carnets authentiques et souvent inédits, qui relatent le quotidien de jeunes gens dans la guerre et parcourent le XXe siècle, jusqu’au conflit israélo-palestinien et l’Irak. Des récits souvent bouleversants, organisés d’une manière volontairement didactique puisque les deux éditrices ont d’abord pensé s’adresser à un jeune public. Une façon, aussi, de revoir la petite histoire à travers une lentille grossissante, celle d’enfants qui la subissent, mais ne l’écrivent (habituellement) pas. "Ce que j’ai trouvé intéressant, et triste et frappant, raconte Zlata, c’est de voir à quel point certaines choses sont pareilles, qu’on écrive en 1914 ou en 2004, et qu’on soit en Allemagne, en Palestine ou en Irak. Il y a des détails concrets qu’on retrouve à travers les récits (le manque d’eau, d’électricité, l’arrêt de l’école), mais aussi des émotions: le sentiment d’injustice et la réalisation que tous les gens ne sont pas gentils, mais qu’il y a aussi un côté très laid à l’humanité…"

Elle parle aussi de cette "fatigue de compassion" suscitée involontairement par les médias, et de son espoir de la raviver quelque peu à travers le livre: "Quand on entend qu’il y a eu 30 morts en Irak en une journée, ça ne veut rien dire de concret pour nous. Mais si on connaît l’histoire d’une personne, elle commence à exister pour nous." À cause de cela, Zlata Filipovic croit énormément au pouvoir de l’écrit et de l’éducation, parce qu’ils permettent d’avoir une emprise sur la peur, croit-elle, qu’on ressent devant ce qui est différent de nous. Manifestement, le rôle de petite ambassadrice pour la paix qu’elle avait endossé à 13 ans lui va toujours comme un gant.

Paroles d’enfants dans la guerre
de Zlata Filipovic et Melanie Challenger
XO Éditions, 2006, 453 p.

Paroles d'enfants dans la guerre
Paroles d’enfants dans la guerre
Zlata Filipovic
XO