Gilles Renaud : Tête-à-tête
Gilles Renaud s’est confié à Jean Faucher dans un ouvrage paru cet automne.
Gilles Renaud est l’un des plus grands et des plus prolifiques acteurs de la scène culturelle québécoise. Du théâtre au cinéma, en passant par la télévision et l’enseignement, l’homme a touché à tout, chaque fois avec autant de rigueur et de succès. En septembre dernier, Jean Faucher publiait chez Québec Amérique un recueil d’entretiens avec Gilles Renaud. Pour l’occasion, nous avons demandé à l’homme de se prêter, une fois de plus, au jeu des questions et des réponses. Tête-à-tête avec un acteur qui, comme le dit Michel Tremblay dans sa préface, vieillit comme le bon vin.
Jean Faucher a déjà publié des recueils d’entretiens avec Gérard Poirier et Albert Millaire; quelle a été votre réaction quand il vous a contacté?
"Au départ, je trouvais ça gênant. Je me trouvais un peu jeune. Puis, je me suis dit: c’est peut-être mieux de le faire tout de suite, pendant que je travaille, pour que ce ne soit pas nostalgique, qu’il n’y ait pas de jalousie ou d’amertume. Je me suis dit que ce serait comme une étape, une belle occasion de faire un bilan. Je trouve aussi que c’est important de laisser des traces. S’il y a deux exemplaires de ce livre dans la bibliothèque de chaque école, les étudiants pourront en apprendre un peu plus sur la façon dont on faisait du théâtre "autrefois". Ces entretiens, c’est ma contribution à la mémoire du théâtre, une façon de laisser une trace.
Est-ce que ces dialogues vous ont donné un certain recul face à votre carrière?
"J’ai réalisé que, tout au long de ma carrière, j’avais privilégié la création. J’ai toujours fait les créations qu’on m’a offertes, même quand je n’étais pas trop sûr de la pièce. Je considérais que c’était ma fonction, en tant qu’interprète, d’aider à la création d’une dramaturgie nationale."
Quelles sont les plus belles rencontres artistiques que vous ayez faites?
"Ma rencontre avec André Brassard et Michel Tremblay est assurément la plus importante de ma vie. J’ai dû faire 20-25 spectacles avec Brassard et une quinzaine de pièces de Tremblay, sans compter les films, les téléthéâtres et les téléséries. Je me considère d’ailleurs comme un expert de son oeuvre, je peux en parler pendant des mois. Avec Brassard, je sentais que j’avais une part de création dans l’interprétation du personnage, que j’étais valorisé comme créateur, que j’avais une responsabilité importante. Je n’étais pas un outil dans la main d’un metteur en scène. Ma rencontre avec Louis Bélanger a été, elle aussi, extraordinaire. Gaz Bar Blues est un moment extrêmement important dans ma carrière, ça m’a permis de changer d’emploi, de devenir un père, un oncle. Ça m’a apporté d’autres rôles, une notoriété nouvelle. Si je m’entends si bien avec Louis Bélanger, c’est peut-être pour les mêmes raisons qu’avec Brassard. Avec lui, j’ai toujours senti que ce que j’apportais était entendu, que mes suggestions étaient utilisées."
Quels sont les rôles qui vous ont le plus marqué?
"J’ai été chanceux, j’ai eu beaucoup de beaux gros rôles. Il y a Cuirette, dans Hosanna, mon premier Tremblay, et Alex, le père, dans Le Vrai Monde?, un personnage qui m’a beaucoup marqué. Il y a aussi, chez Duceppe, tous les Miller et les Tchekhov, des univers où je suis comme un poisson dans l’eau. Au cinéma, il y a le Père Didace dans Le Survenant, un très beau cadeau qu’Érik Canuel m’a fait. Je dis souvent, à la blague, que quand je vais mourir, c’est un extrait de ce film qui va être diffusé au Téléjournal."
Quelle place occupe la transmission dans votre parcours?
"Un an après ma sortie de l’École nationale, je commençais à y enseigner. Depuis, j’ai enseigné un peu partout. J’aime beaucoup les jeunes, je les ai toujours aimés, j’aime être avec eux, entendre ce qu’ils ont à dire, les voir se questionner, souffrir, découvrir. J’aime les brasser, les provoquer, les amener à découvrir leur propre personnalité. Je trouve extrêmement important, dans une carrière d’artiste, d’enseigner. L’art, ça s’enseigne. Et ça prend un acteur pour enseigner à un acteur. Quand je regarde mes anciens élèves – Emmanuel Bilodeau, Sophie Prégent, François Papineau, Wajdi Mouawad, Benoît Brière, André Robitaille, Marie-Chantal Perron, Macha Limonchik… -, je suis fier, j’ai l’impression d’avoir laissé une trace. Ce qui est bien avec le métier d’acteur, c’est que plus on a d’expérience, plus on a de plaisir. C’est fantastique, je suis encore en santé, j’ai encore toute ma tête, tout mon corps et surtout toute ma passion pour ce que je fais."
Gilles Renaud, entretiens
de Jean Faucher
Éd. Québec Amérique, coll. "Biographie"
2006, 264 p.