Alain Raimbault : Toile de fond
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Alain Raimbault : Toile de fond

Avec Roman et Anna, Alain Raimbault offre une histoire qui chevauche deux parties bien distinctes: une poétique et formellement stimulante, et l’autre, plus traditionnelle mais captivante.

Un homme, une femme et l’art. Les trois points de ce triangle tentent parfois de se rejoindre, de se sublimer, parfois de se fuir et parfois de s’expliquer. Il en résulte une histoire d’amitié et d’amour, avec pour toile de fond des réflexions sur l’art et sur l’esthétisme, sur l’identité et sur les origines ou les expériences qui nous gouvernent.

Né en France et vivant en Nouvelle-Écosse, Alain Raimbault a publié plusieurs romans pour la jeunesse et aussi des poèmes dans plusieurs revues québécoises. Avec Roman et Anna, l’auteur présente un personnage, Roman, qui, à son instar, mène une vie d’émigré en Nouvelle-Écosse. Roman a un passé glorieux de sportif professionnel (il jouait pour l’équipe de football de la Roumanie, son pays d’origine), mais il cache aussi une époque, celle de son adolescence, beaucoup plus sombre. Ce protagoniste, qui est accrocheur au musée et modèle au Collège des arts, est riche de mystères et de complexité. On sent, par ses gestes et ses silences, qu’il retient plus d’un monde en lui. Sa manière de se contenter de peu et d’espérer peu de l’avenir dénote une distance particulière face aux émotions, aux relations humaines et aux dialogues, comme il possède un intrigant détachement par rapport à sa position sur l’échiquier social.

Pour prendre une image se référant aux arts visuels (le livre en regorge), on pourrait dire qu’il préfère marcher sur le cadre qu’être au centre ou complètement en retrait. Entre l’ombre et la lumière, il choisit d’afficher le neutre en sachant qu’il projette malgré tout mille reliefs. Et il a beau se faire discret, il demeure matière, comme le démontre entre autres son travail de modèle.

Anna apprend le dessin et c’est ainsi qu’elle entre plus directement en contact avec Roman, qui est aussi son voisin. Mais au fil des pages, c’est surtout la vie qu’Anna apprend. Malheureusement, à côté de Roman, ce personnage fait vraiment pâle figure. S’il est clair qu’Anna représente davantage la surface et Roman l’intériorité, le lecteur ne tire pas grand-chose de cette jeune femme qui semble plutôt servir de repoussoir pour mieux cerner et sertir les multiples facettes de Roman.

D’origine micmac et océanographe de profession, Anna est née avec une tache de vin sur la joue. Se l’étant fait retirer dernièrement au laser, elle tente de prendre une place différente dans la vie et de composer avec une nouvelle identité. Pour elle, la vie est devant, tout est à accomplir, alors que pour Roman, qui n’a pourtant qu’environ 40 ans, le principal de sa mission a été rempli: il peut se contenter de petits plaisirs et, surtout, d’être en vie.

Avec un habile jeu narratif, le roman nous présente les personnages de l’intérieur pour basculer, à la mi-course, d’un style poétique à un autre, plus concret et plus convenu, mais en revanche plus efficace et plus percutant car il arrive, avec une meilleure lisibilité, à faire en sorte que le lecteur s’accroche vraiment aux deux destins. Malgré ses inégalités et quelques passages plaqués ou précipités (la dernière page, par exemple), le roman demeure riche et captivant.

Roman et Anna
d’Alain Raimbaud
Éd. Hurtubise HMH
2006; 192 p.

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Roman et Anna
Roman et Anna
Alain Raimbault
Hurtubise HMH