Alexandre Bourbaki : Exception à la règle
Le collectif Alexandre Bourbaki réunit dans son Traité de balistique des nouvelles ayant pour point de départ un certain chaos des lois de la nature.
La découverte d’un nouvel écrivain du nom d’Alexandre Bourbaki, qu’une notice biographique fabriquée de toutes pièces fait naître à Gaspé en 1973 d’une famille de transfuges soviétiques, aurait pu se révéler comme une fameuse imposture, un canular littéraire digne de notre époque. Mais voilà qu’avant même que son Traité de balistique ait conquis ses premiers lecteurs, la mèche nous a été vendue, probablement pour des raisons platement éditoriales de mise en marché. Il aurait été si plaisant de voir les critiques s’intéresser à la naissance d’une jeune plume, avant d’apprendre que derrière le mystérieux Bourbaki se cachaient en vérité Bernard Wright-Laflamme, Nicolas Dickner et le dessinateur Sébastien Trahan.
C’est peut-être la seule déception sérieuse provoquée par ce livre, un exercice de style ludique et à l’esprit adolescent qui rassemble dix-neuf récits entre lesquels s’intercalent les belles illustrations et les bandes dessinées de Trahan. Articulé autour de lois scientifiques rendues momentanément invalides, Traité de balistique donne lieu à des situations insolites, à d’étranges incursions de l’improbable dans la réalité quotidienne des personnages. Ceux-ci, plus ou moins apparentés, traversent le temps (de la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui) et l’espace (de Montréal à la lointaine Gaspésie), avec une unique et fantaisiste projection au-delà du monde connu (cette poétique "Odyssée" du petit Ulysse dans la ville-puits).
Momentanément aliéné par un dérèglement de son univers physique, l’être humain voit sa vie familiale et sociale bouleversée. Tandis qu’un grand-père échappe peu à peu à l’attraction terrestre dans Le Poids du monde, Le Récepteur met en scène un oncle soldat qui revient de la guerre avec une plaque métallique greffée au cerveau lui permettant de capter des ondes radio. Défiant les lois de la probabilité, un chirurgien vétérinaire souffre quant à lui de sa première crise d’épilepsie à l’instant précis où il opère le cheval préféré d’un millionnaire, causant la mort de l’animal (Un Cheval nommé Gravity). Inversement, un groupe d’amis qui se prêtent au jeu dangereux de la roulette russe s’impatientent, après de multiples tentatives, de ne jamais tomber sur l’unique balle que contient le barillet de leur pistolet (Des Lumières qui défilent sur un revolver d’argent). Le motif de l’arme à feu parcourt d’ailleurs l’oeuvre qui prend fin par une morale d’horloger voulant qu’un revolver ne demeure un revolver "que dans un univers donné".
Malgré nombre de passages qui semblent calqués sur des manuels scientifiques que s’amusent à subvertir les auteurs, créant un effet de récitation un peu mécanique à la longue, Traité de balistique se distingue par une intelligente légèreté, suscitant chez le lecteur un plaisir de nature essentiellement cérébrale.
Traité de balistique
d’Alexandre Bourbaki
Éd. Alto, 2006, 262 p.
À lire si vous aimez
Nikolski de Nicolas Dickner
L’Encyclopédie du petit cercle de Nicolas Dickner
Sur un fond bleu et Paralléloïde de Sébastien Trahan