Roger Côté : Y'a pas photo
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Roger Côté : Y’a pas photo

Roger Côté propose ce que plus personne n’attendait: un livre de photos de Québec et de ceux qui y vivent, mais en marge des convenances, exemptes de l’habituel vernis historico-touristique. Enfin!

C’est l’âme de Québec qu’a photographiée Roger Côté.
Québec vivante, habitée, enfin extraite des mirages de cartes postales qui la confinent à une beauté fardée, impossible, devant laquelle se pâment ses touristes ébaubis.

Au fil des pages de ce recueil tout en noir et blanc, c’est l’impression de redécouvrir sa propre ville qui nous assaille, nous prend aux tripes. À la fois heureux et pris de court, comme lors de retrouvailles avec un vieil ami perdu de vue depuis trop longtemps, rencontré au détour d’une rue, au hasard d’une promenade.

D’ailleurs, parmi la pléthore de portraits que propose le livre, on reconnaîtra certains visages familiers – antiquaires, artisans, restaurateurs, artistes -, tandis qu’on en découvrira d’autres qui le sont beaucoup moins – mécaniciens, cultivateurs, collectionneurs -, présences citadines en périphérie du regard concentré sur ses habitudes, dans l’angle mort du quotidien.

Ce sont cependant les paysages captés par le photographe qui rompent le plus violemment avec la plastique des oeuvres photographiques auxquelles nous sommes tristement habitués lorsqu’il est question d’immortaliser la ville sur pellicule. Ou pire, en livre.

Car si on y retrouve ses habituels remparts, ses rues de pavés, et même son indécrottable Château, ils sont ici écrasés par des cieux menaçants, et même, parfois, altérés par des conditions climatiques hostiles qui leur confèrent une improbable beauté de fin du monde.

On pourrait croire à une démarche réfléchie, à une manière de se réapproprier la ville, de la prendre à rebrousse-poil en quelque sorte; il n’en est rien. "Quand il fait beau, je suis comme tout le monde, j’aime ça sortir pour m’amuser, faire autre chose que travailler. Alors je prends des photos quand il pleut, ou quand il fait tempête", explique Côté en montrant du doigt telle ou telle image, nous en narrant l’histoire, les conditions, le résultat.

Cette même lumière qu’il fait exploser dans ses clichés contamine ses yeux alors qu’ils parcourent le livre, deux globes attentifs s’attardant affectueusement sur un détail, un visage. Et ce sont eux, encore plus que les mots, qui révèlent la nature du secret derrière la magie qui opère dans ce recueil : l’humanité de son auteur.

Photographe professionnel auquel on doit d’ailleurs les premières pages couvertures de Voir à Québec, il y a tout près de 15 ans, Côté a appris le métier sur le tas. "Chez nous, nous étions plusieurs enfants, certains d’entre nous devaient travailler. Moi, ça faisait mon affaire, évoque-t-il, l’école, c’était pas mon fort. Alors je suis allé travailler pour le photographe local, à La Tuque."

Après avoir bourlingué, pratiqué d’autres boulots sans le moindre rapport avec la photographie, Côté y revient pour s’investir dans le milieu de la pub, des publications spécialisées (dont plusieurs livres de cuisine), des magazines. Puis, au fil des ans, ce projet de bouquin prend lentement forme. Photo après photo, rencontre après rencontre, immortalisant des artisans dans leur milieu de travail, soient-ils sculpteurs, jardiniers ou concierges, nous donnant aussi rendez-vous avec quelques anges déchus dans l’oppressante intimité d’une vieillesse de solitude et d’oubli.

S’y grefferont des textes de Julie Stanton, Jean-Paul L’Allier, Andrée A. Michaud, Jean-Simon Gagné, Sylvain Lelièvre, Louisa Blair et quelques autres, formant ce qui s’avère l’un des plus importants documents sur Québec à ce jour.

Important, parce que vrai, authentique, chaleureux sans être sirupeux, mais aussi révélateur – au sens photographique du terme – puisqu’au lieu d’empailler sa beauté, Roger Côté y fait ressurgir les minuscules détails et les imperfections qui donnent à cette ville son véritable charme, sa vie.