Jacques Bouchard : Saisir la corde

Le père de la pub d’ici, c’est lui. Fondateur de l’agence BCP (aujourd’hui Publicis-Canada), Jacques Bouchard a pondu une flopée de slogans mémorables: "Lui, y connaît ça", "Mon bikini, ma brosse à dents", "Qu’est-ce qui fait chanter les petits Simard?", "On est 6 millions, faut se parler", et l’insupportable "Pop-sac-à-vie-sau-sec-fi-co-pin"…

En 1978, ce fin observateur de la société publiait Les 36 cordes sensibles des Québécois. L’ouvrage, une minutieuse radiographie du peuple québécois, a aussitôt l’effet d’une bombe. Des années durant, il figure parmi les lectures obligatoires des étudiants en communications. On le décortique, on le commente, on le critique, on le cite… À une certaine époque, il aurait même été le livre le plus piqué des bibliothèques universitaires!

Près de 30 ans plus tard, une mise à jour s’imposait. C’est que le Québec a changé depuis. Les poudings Laura Secord ne font plus chanter les petits Simard. Et nous ne sommes plus six, mais bien 7,5 millions à devoir nous parler.

En revenant au Québec en 2002 après 12 ans d’absence, Jacques Bouchard a bien vu, lui aussi, que le bout de pays qu’il avait quitté n’était plus le même. C’est pourquoi il a voulu rafraîchir ses célèbres 36 cordes. C’est d’ailleurs cet exercice qu’il achevait au moment de disparaître subitement le printemps dernier.

Dans son essai posthume, Les nouvelles cordes sensibles des Québécois (Les Intouchables), on pourra donc savourer le fruit de ses cogitations. Fidèle à sa version antérieure, le livre allie à merveille les statistiques et études sociales les plus récentes à des pointes d’humour remplies de gros bon sens. Résultat: un polaroïd du peuple québécois en 2006.

Bien sûr, certaines choses restent les mêmes. L’homo quebecensis est toujours défini par six racines profondes. Il est terrien, minoritaire et nord-américain. Il garde aussi un fond catholique, latin et français.

En revanche, quelques traits de son identité se sont modifiés en un quart de siècle. Ainsi, le Québécois a usé sept de ses "vieilles" cordes: l’étroitesse d’esprit, le manque de sens pratique, le complexe d’infériorité, la xénophobie, l’anti-mercantilisme, le mysticisme, le bas de laine. De nouvelles cordes sont apparues: le mercantilisme, la technologie, l’entrepreneuriat, le scepticisme, l’hédonisme, la tergiversation, la tolérance.

La tolérance? Relisons la définition du mot: "capacité de supporter, avec indulgence, voire avec patience, ce qui pourrait être contraire à nos sentiments, à notre façon de voir et de penser". Bouchard note que 75 % des Québécois seraient tolérants envers les clubs échangistes. Nous serions aussi prêts à élire un premier ministre gai, une femme ou un Noir, mais pas un Québécois anglophone bilingue. Par ailleurs, à voir s’agiter les débats autour de ces fameux "accommodements raisonnables", force est d’admettre que la tolérance des Québécois est une corde à ne pas trop étirer.

Aurions-nous une tolérance à deux vitesses? Le débat est lancé! Ce n’est pas Jacques Bouchard qui s’en plaindrait. Il le souligne lui-même en introduction de son livre, ses cordes sensibles ne sont pas dogmatiques. Elles sont plutôt un "jeu de société" que le publicitaire a offert en héritage à la société québécoise. La balle est aujourd’hui dans notre camp. Libre à nous d’en discuter, d’en débattre, d’éliminer ou d’ajouter de nouvelles cordes…

Les nouvelles cordes sensibles des Québécois
de Jacques Bouchard
Éd. Les Intouchables, 2006, 261 p.