Lucie Pagé : Coeur d’Afrique

Avec Mon Afrique (2001), la journaliste, écrivaine et réalisatrice Lucie Pagé relatait la décennie qu’elle a vécue en Afrique du Sud en tant que journaliste correspondante couvrant l’ère Mandela (1990-1999), en tant qu’épouse du syndicaliste et ministre Jay Naidoo et en tant que mère de trois enfants, dont un qu’elle partage à mi-temps avec le Québec. En concluant son premier livre par: "Cette histoire est loin d’être finie", l’auteure ne se doutait pas qu’on allait réclamer une suite avec un grand intérêt quant à l’état actuel de l’Afrique du Sud post-apartheid, la situation de sa famille intercontinentale…

Après Eva, roman d’amour sur fond d’apartheid paru en 2005 et écoulé à 20 000 exemplaires, Lucie Pagé poursuit donc la chronique de sa vie partagée entre Gatineau et Johannesburg, faisant alterner les chapitres personnels avec d’autres plus informatifs. Ces derniers étant souvent issus de ses reportages réalisés pour la radio ou différentes revues d’actualité.

Elle part donc en campagne afin de redorer le blason de ce continent mal-aimé, qu’elle juge victime d’un "apartheid mondial". "Je reviens de la Nouvelle-Écosse et, dans l’avion, j’ai entendu un bulletin de nouvelles de Radio-Canada où on fait un tour du monde de la météo avec les principales villes des différents continents. Sur les 54 pays africains, pas une seule ville n’a été nommée! s’indigne-t-elle. L’Afrique ne fait pas partie de nos vies! Il est grand temps de mettre un visage sur ce continent pour pouvoir apprécier ses richesses!"

Elle brosse ainsi le portrait des principaux acteurs dans ce qu’elle décrit comme le "miracle sud-africain", "cette révolution négociée qui mettra fin à 46 ans d’apartheid et à 350 ans de racisme et d’oppression". C’est donc sous un jour nouveau qu’elle dépeint la "douce moitié" actuelle de Nelson Mandela, Graça Machel, et l’alter ego de ce dernier, Walter Sisulu. Elle s’entretient également avec le successeur de Mandela, Thabo Mbeki, et avec le dernier président du gouvernement de l’apartheid, Frederik de Klerk.

Lucie Pagé a aussi entrepris de faire découvrir les Sud-Africains comme un peuple d’inventeurs – 80 brevets accordés chaque mois, dont 12 sur le marché international. Parmi les innovations rapportées, celle, fascinante, du Phelophepa, le "train de vie" qui parcourt 36 villages d’Afrique du Sud pour offrir ses services médicaux. "Ça, c’est une histoire de succès: ils ont touché plus d’un million de personnes qui autrement n’auraient pas ces soins."

Elle restitue également nombre de réussites sociales sur les plans de la santé, des finances, des arts et de la technologie. "À mesure que ça se branche, les enfants peuvent avoir accès à des bibliothèques, à de l’information. La technologie est un élément clé de l’accès au savoir et donc de l’accès au pouvoir. Et il faut que ça rejoigne la femme qui accouche, qui porte l’eau, qui porte les bébés, les familles… Il faut éduquer la femme", affirme Lucie, qui cite un proverbe africain pour illustrer son propos: "Lorsque vous éduquez un homme, vous éduquez un individu, mais lorsque vous éduquez une femme, vous éduquez une famille, une nation." Les relents de l’"apartheid économique" sont aussi au coeur de ce livre édifiant.

Et si l’auteure favorise le mot défi à celui de problème ou de difficulté, c’est qu’elle croit en l’avenir de ce pays multiracial. "Je n’ai jamais nié les problèmes; j’en parle du sida, de la pauvreté, de l’éducation et de tout ça. Mais il y a deux côtés à une médaille et je choisis l’autre visage!" affirme l’auteure dont le premier livre, Mon Afrique, fera l’objet d’un documentaire pour la chaîne TV5 en janvier.

Notre Afrique aura aussi été synonyme, pour Lucie Pagé, de guérison par rapport à son destin tortueux. "À présent, le Québec et l’Afrique du Sud forment un seul continent en moi et sont indissociables", conclut-elle dans son livre, après être retournée vivre en Afrique du Sud, suite à un épisode douloureux loin de son mari. "Je dois vivre avec un océan qui sépare mes deux vies, ou plutôt ma vie, c’est juste qu’il y a une ride d’avion entre les deux. Mais il n’y aura jamais de "pour de bon" pour moi."

Une chose reste inchangée toutefois, Lucie Pagé poursuivra sa croisade au moyen de ses écrits, dont certains de longue haleine. L’Afrique du Sud demeure pour elle un sujet intarissable. "C’est infini pour 24 vies! En tout cas, je n’arrête pas de travailler, ça, c’est sûr!"

Notre Afrique
de Lucie Pagé
Éd. Libre Expression, 256 p.

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Un long chemin vers la liberté de Nelson Mandela