René-Daniel Dubois : Le théâtre et son double
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René-Daniel Dubois : Le théâtre et son double

René-Daniel Dubois, comédien, dramaturge, metteur en scène et polémiste, publiait il y a peu des entretiens avec… lui-même.

Depuis Julie, une pièce jeune public parue chez Boréal il y a dix ans, René-Daniel Dubois n’avait rien publié. Après avoir refermé la brique qu’il vient de faire paraître chez Leméac, on se dit que ça valait bien la peine d’attendre. Au tout début des années 80, le créateur avait ajouté "René" devant son nom, parce qu’il existait déjà un Daniel Dubois dans le bottin de l’Union des artistes. Ce nom composé, c’est le cas de le dire, est devenu celui du personnage public.

Entre janvier et avril 2005, Daniel a courageusement décidé de s’entretenir avec son double, René-Daniel. Grâce à un tel dédoublement, procédé littéraire, théâtral, intellectuel, psychanalytique et même ludique, le créateur se dévoile plus que jamais, se révèle à lui-même et au lecteur. Mise au point, introspection, règlement de compte, bilan, autobiographie, balayage des idées reçues…, les entretiens de Daniel et René-Daniel offrent un exaltant mélange de tout cela.

Dès que cette idée d’orchestrer un dialogue entre les deux hémisphères d’un même individu est venue à l’auteur, il s’est jeté dans la rédaction: "Le contenu du livre, c’est une chose qui m’habite depuis 30 ans. Mais je n’avais aucune idée de la manière de le faire, de la forme à adopter. J’ai essayé une cinquantaine de fois et ce n’était jamais satisfaisant. Puis, un moment donné, le 2 janvier 2005, en m’entendant penser, c’est-à-dire en réalisant que je me répondais à moi-même, j’ai su ce qu’il fallait que je fasse. Je me suis mis au défi d’être clair. Plutôt que de demander à quelqu’un de m’interviewer, ou encore, comme Romain Gary, de prétendre qu’un ami l’avait interviewé alors que c’était lui, plutôt que de jouer à ça, j’ai choisi d’y aller à fond."

UN INTERROGATOIRE SERRE

La forme est essentielle, non seulement parce qu’elle a permis d’enfin cristalliser ce que l’homme cherchait à extirper de lui depuis une trentaine d’années, mais aussi parce que cette forme s’arrime parfaitement au fond, c’est-à-dire au propos même de l’oeuvre: "Ce n’est pas un truc technique, ça fait partie de ce dont je parle. Il s’agit d’un interrogatoire mené par un personnage public, un individu qui connaît une partie des réponses, mais qui n’a pas nécessairement accès aux convictions profondes que se trouvent derrière les réponses."

Certains diront que l’écrivain flirte ici avec la schizophrénie, une interprétation que le principal intéressé récuse vivement: "On n’a plus d’outils dans le monde contemporain pour parler de l’esprit sans utiliser un vocabulaire médical. On ne peut pas passer sa vie à interpréter tout ce qui se passe à l’intérieur de nous comme les symptômes d’une maladie, surtout pas quand on est artiste et qu’on cherche à exprimer quelque chose. Ce livre n’est pas une autoanalyse, je ne suis pas en train de me guérir de moi-même, la vie n’est pas une maladie!"

En écrivant, René-Daniel Dubois pensait avant tout à satisfaire un besoin personnel, pas à répondre aux désirs d’un lectorat. Mais, c’est bien connu, en restant fidèle à soi-même, singulier, au risque de heurter certaines personnes, on touche le coeur des gens: "Pour se lancer dans un processus pareil, il faut faire confiance à ce qui se passe à l’intérieur de soi. La carte géographique qui est sortie, c’est celle de mon univers intérieur, après il faut vivre avec. Quand j’écris "éventuels lecteurs" dans les premières pages du livre, ce n’est pas une blague. Je l’écrivais parce qu’il fallait que je l’écrive, pour le lire, moi, d’abord. Quand j’ai vu l’effet que ça a eu sur les gens autour de moi, je n’en revenais pas. C’est déjà extraordinaire ce que ce livre a engendré."

Entretiens
de René-Daniel Dubois
Éd. Leméac, 2006, 610 p.